Semaine cinq
Je traverse le pays, les idées suspendues entre la chaleur et les odeurs qui inondent ma chair et mon esprit, je ne peux m'en soustraire.
Je m’imprègne des différences que j’observe, entends, sens, goûte et touche. Je cherche mon stylo pour écrire, vous écrire.
Ma main se promène dans tous les compartiments de mon sac : rien. J’ai perdu mon stylo. Ne reste que mon calepin qui m’est, dans les circonstances, complètement inutile.
Ma mémoire tiendra-t-elle le coup ? Je crois que oui puisque me voilà à vous écrire. Temps d’arrêt, silence et, mes observations reviennent, une à une, chaleur et odeurs en moins.
Décrire ces maints villages affichant un quotidien aux différences innombrables demeure un survol de mes lendemains. Un prélude aux contrastes.
Ces huttes entourées d’enfants, ces rivières asséchées et sollicitées par des femmes qui y lavent leur linge utilisant «le» filet d’eau ayant survécu à la sécheresse, et, ces mêmes femmes qui marchent, entre deux villages, transportant sur leur tête leur chargement de bois pour le feu, bébé au dos et toujours, cette démarche qui ne ment pas.
Elles sont droites, elles sont fortes, elles sont courageuses. Très courageuses.
Un trajet interminable. Quelques arrêts pour les passagers qui descendent dans les différents villages croisés en cours de route. À ces mêmes arrêts, les enfants ou adolescents offrent divers aliments dans de grandes assiettes portées en équilibre sur leur tête, ou encore, lorsque trop petits, à bout de bras et sur la pointe des pieds pour que nous puissions, de la fenêtre ouverte, acheter ce qu’il faut pour poursuivre la route. Fruits frais, boissons diverses, arachides, sésames, grillades, etc.
J’ai mangé de tout, c’était succulent, à s’en lécher les doigts même, mais, je n’ai pas léché mes doigts, je les savais sales. Le repas terminé, mes pantalons me serviront de serviette de table.
Le décor est le même sur des kilomètres. À l’aridité du paysage et à la couleur jaunâtre du sable se mêlent les arbres, les troncs séchés, les animaux de toutes sortes tels moutons, chèvres, ânes, poules, porcs, chevaux et, aux abords des routes, des troupeaux de bœufs dirigés par de jeunes garçons en transition entre l’enfance et l’adolescence. Bâton en main, ils se rendent au point d’eau le plus près pour faire boire le bétail. Le pas est lent, le soleil plombe, la chaleur est écrasante, mais ils y arriveront. Les animaux sont maigres, pour eux aussi la vie n’est pas facile.
Lors d’un second trajet amorcé dès l’aurore, mon regard s’est posé sur une dizaine d’enfants en cercle autour d’un feu. Un cercle parfait.
Autant de couleur de chandails que d’enfants. Jaune, bleu, vert, rouge, orange, blanc, noir, mauve, etc. Un arc-en-ciel matinal jauni par le sable du sahel, pluie en moins, couleurs en plus, et une scripte qui ne laisse rien passer. Ces petits dos bien alignés ont fait pivoter ma tête et m’ont permis de conclure que sans enfant, le décor d’un village ne serait pas le même, ils sont là pour : la couleur, la rondeur et la chaleur…
Pour vivre ici, il faut vivre le temps autrement. Tout prend plus de temps. Même traverser le pays.
Les Camerounais disent très souvent : «On a le temps»… Le tout est suivi de rire, plaisir et trêve au problème du temps. Mieux encore, une conclusion, une solution à toute attente imposée. L’apothéose du moment.
J’insiste davantage...«On a le temps»…Prononcez bien chaque syllabe et prenez le temps de bien le lire et le dire. S’exécuter comme tel, c’est déjà lui reconnaître un certain sens, c’est déjà le début d’une réflexion, d’une procession.
Inapplicable au contexte Nord-Américain vous me direz, mais ici, en mode survie, on trouve les moyens de revenir rapidement aux choses essentielles qui se vivent et se nomment au quotidien.
N’oubliez pas, la plupart d’entre nous vivent alors qu’eux survivent. Les lendemains lointains n’existent pas. Au jour le jour, la vie se vit.
Lu dans un projet de demande de subvention dans le cadre de mon travail, l’espérance de vie dans l’Extrême Nord serait plus basse que dans l’ensemble du Cameroun. 41 pour les hommes et 42 pour les femmes. Au rythme où j’entends les décès de la cousine, du cousin, du neveu, de la nièce, de l’oncle, de la tante, de la femme, du mari, de l’enfant, et au nombre de veuves que je croise, j’accorde une certaine crédibilité à ces statistiques et ajoute…Les lendemains lointains n’existent pas…
Et malgré les rudesses de la vie, ce sont des gens souriants. Après leur sourire, il y a leur rire suivi d’une poignée de main qui s’installe dès que l’on s’esclaffe pour quelque raison que ce soit. Mais attention, la poignée de main camerounaise est particulière. Elle débute par une véritable poignée de main et se poursuit par un glissement, paume contre paume, doigts contre doigts, pour se terminer par un claquement que l’on exécute avec le majeur de l’autre qui se coince entre notre pouce et notre majeur et vice-versa. Un travail d’équipe qui se termine par un clac doublé. Véritable science…J’y travaille…Très fort...
Je vous envoie sourire et rire, esclaffement, poignée de main, glissement, j’attrape votre majeur pour le presser entre mon majeur et mon pouce, vice versa et ainsi, claquer nos doigts. Entendez ce clac doublé. Virtuellement, nous réussissons ensemble cette adresse camerounaise.
Alyne, Alyne, Alyne...
RépondreSupprimerJe dis ton nom et le redis. Je prends le temps de penser à toi, le temps d'attendre tes mots sur ton blogue, le temps de t'imaginer dans le décor que tu décris, le temps de vivre de que tu vis, au rythme de ton texte...
Mais surtout, je prends le temps de t'attendre...
Au lieu de la poignée de main Camerounaise, je vais plutôt te servir un gros câlin façon jeannoise lorsque je pourrai enfin le faire!
En attendant ce moment , je prends le temps ...
Ta tienne XX
Enfin de tes nouvelles!
Wow! J'ai bien hâte que tu me donne la main de cette façon!! :) xxx
RépondreSupprimerTante Alyne,
RépondreSupprimertu es une personne extraordinaire. Et je prends le temps de te le dire deux fois: extraordinaire.
Catherine xxx
et Claque! Bonne semaine Alyne! xxxx
RépondreSupprimerMon Alyne adorée
RépondreSupprimerSimplement merci ma belle de nous faire vivre ton et leur quotidien et je me répète, tu as une plus extraordinaire pour nous raconter ton aventure.
Je t'envoie encore des flocons pour te rafraîchir...et surtout plein de câlins & bisous.
Ta meilleure voisine
xxxx