jeudi 28 avril 2011

Je ne vous parlerai pas de mes ennuis, j’essaie de les fuir alors, vous en parler serait les alimenter, les nourrir, les ancrer et les enraciner…Ce que je ne veux surtout pas. Déjà que leur gestion me demande beaucoup de temps.
Or, malgré les efforts fournis, je trébuche et vous partage que l’ennui m’est terrible. Chez moi, il s’installe sans avertir.
Le matin, le midi, le soir, la nuit, à la vue d’un objet, à l’écoute d’une musique, d’une banalité ou d’une histoire cocasse, à la prononciation d’un prénom, à la lecture de certains courriels, à vos commentaires et à certaines dates qui me remémorent ceci ou cela.
Je savais que je passerais par là, mais, je ne savais ni quand, ni comment, ni pourquoi.
Normalement, l’espèce humaine commence par s’ennuyer de son amoureux, de ses enfants, de ses parents, de sa fratrie, de ses amis et amies et puis…Il s’ennuie de…sa cuisine, sa bière préférée, son vin, son fromage, ses croustilles, sa manette de télévision, son café du coin, sa boulangerie, sa pâtisserie, sa poissonnerie, son chroniqueur préféré, son magazine préféré, ses boutiques et j’en passe.
Je suis de cette espèce humaine. Je prétends me situer dans la normalité.
Libre aveu partagé dans une complète nudité…Lorsque je m’ennuie trop de mes fils, je téléphone au zénith de ma crise faisant abstraction de l’heure qu’il peut être.
Je les réveille au cœur de la nuit, dans leur sommeil, alors que Morphée vient de les accueillir, ils sont soumis à un interrogatoire en règle de leur mère. Je les gronde sans raison. Je les sermonne parce qu’ils n’ont pas encore répondu au dernier courriel qui leur a été envoyé dans l’heure précédente.
Mes fils, je suis désolée, sincèrement désolée.
Mes brus, pardonnez-moi.
Je vous rassure, je ne suis pas une belle-mère insupportable qui n’a su couper le cordon ombilical de ses fistons. Je suis de cette espèce humaine pour qui la gestion de ses propres crises a toujours été difficile.
Maintenant, quel est le remède, quelle est la potion magique pour contrer ces moments où j’oublie tout pour faire le décompte des mois, des semaines, des jours, des nuits, des heures voire même…des minutes ?
Après cette prémisse au ton larmoyant, je vous rassure, la providence est mon salut.
Allez savoir pourquoi, mais, chaque période de crise est suivie d’un moment de refleurissement intérieur. Telle une poudre de perlimpinpin, les gens d’ici, très innocemment, me sortent littéralement des mes sombres tourments.
Trois histoires où je me suis demandé comment je quitterai ce Cameroun qui, au fil du temps, des moments et des événements, réussit à me séduire.
Première histoire.
J’appelle mon chauffeur de mototaxi pour qu’il vienne me chercher. Puisque je reviens d’un voyage qui a duré 6 jours, il est arrivé en me disant : «Mais j’étais inquiet, je croyais qu’on vous avait arraché…je me suis dit… mais ils ont arraché Alyne».
J’ai tellement ri, je répétais «arraché» y associant une série d’images…de visions, d’illusions, de songes ou de fantasme, choisissez ce que vous voulez. Il me regardait étrangement et je me retenais de lui partager mes visions, illusions, songes ou fantasmes…
Soyons sérieux, je dois demeurer crédible non !
Et il a continué : «..Les gens me demandent où vous êtes…ils disent : mais la blanche elle est où…».
Ce simple accueil de sa part, cette façon qu’il a eue de me signifier mon absence prolongée, m’a littéralement sorti des mes sombres tourments.
Et ce jour-là, contrairement aux autres jours, il a arrêté sa moto pour me serrer la main…J’avais également hâte de le revoir, une mise à jour s’imposait, que de choses nous avions à nous dire.
La deuxième histoire se passe ce même jour, je suis arrivée chez moi et Bouba, mon gardien de nuit, avait laissé trainer un seau sur le perron. Il ne laisse jamais trainé quoi que ce soit. Je viens pour le ranger, j’y trouve mes espadrilles dans une eau savonneuse. Il les a lavés. Je suis horriblement gênée.
Ce n’est pas tout. Lorsqu’il est revenu, il a vu mes espadrilles en train de sécher. Sur un ton de désappointement que je ne comprenais pas il a dit : «Ah non, j’ai oublié, mais je vous ai fait travailler.»
Et de lui répondre : «Mais non, j’ai pris les espadrilles et les ai mises sur le ciment pour qu’elles sèchent, c’est tout»
Déception sur son visage. Il me regarda et dit : «Mais il faut frotter, mais il faut frotter».
La tête baissée, il se lève et va chercher le seau, le savon et la brosse pour frotter MES espadrilles. Je tente de l’en empêcher, il est déjà trop tard, il a tout ce qu’il faut, il tire la chaise, place le seau entre ses pieds et…J’ai su que c’était vraiment sérieux lorsqu’il a levé le bas de ses pantalons jusqu’à ses genoux.
Non et non les filles, aucune vision, illusion, songe ou fantasme…L’ennui est fort, mais pas à ce point. Et si je dois partager un commentaire, je vous dirais qu’ici, les Camerounais sont «sculptés dans la pierre» pour emprunter l’expression d’une jeune québécoise que j’ai croisé récemment. Eh oui, il a de jolis mollets.
Reprenons. Il s’est mis à frotter avec une intensité telle que je craignais qu’il abime le tissu. Craintes inutiles, ce ne sont pas les premières espadrilles qu’il frotte, mais cette fois-ci, ce sont les miennes et je veux qu’ils durent jusqu’à la fin du projet.
Il était content, il souriait et ignorait les arguments que je tentais de lui servir pour qu’il cesse, lui expliquant qu’elles seraient dans le même état dans quelques jours.
Je parlais et il m’ignorait…Suffisant pour que je me rappelle l’adolescence de mes fils…
MES FILS…L’ennui ressurgit. Vous voyez bien que c’est soudain et imprévisible non !
Troisième et dernière histoire.
Bouba s’inquiète, il dit que je ne cuisine pas assez. Je ne sais comment lui dire que dans cette chaleur, l’appétit est moindre et que je ne m’inquiète pas pour les quelques livres perdues puisque ma maman, mon papa, ma famille, mes amis et amies me les feront reprendre dès mon retour.
Ne vous en faites pas, je mange bien. Éliminez de votre alimentation les croustilles, le fromage, le vin, la bière, le yogourt à 8 ou 9 % de gras, le lait, le beurre, les pains au chocolat, les soupers à 4 ou 5 services entre amis et amies, les déjeuners festifs…
ASSEZ…Cette énumération est douloureuse...L’ennui revient alors que je me croyais en plein contrôle…
Mes forces s’amenuisent, que la providence soit…
Je continue donc avec les inquiétudes de Bouba.
Il a trouvé une solution. Il dit qu’il parlera à sa belle-sœur et elle cuisinera pour moi. Il me demande ce que j’aime. Simple, j’aime tout.
Quelques jours passent et voilà qu’au retour du travail, sur ma table se trouvent deux thermos bien remplis de riz et d’une recette typiquement camerounaise. J’en ai eu pour trois jours.
Et les thermos…Neufs ou presque neufs. La belle vaisselle a servi pour l’étrangère, la blanche, la nassara…
Ça, c’était énorme. J’ai même pris une photo pour partager. Cette belle sœur a cinq enfants. Sa maison est toujours pleine, un frère, une sœur, une nièce, un neveu, etc.
Chaque fois que je lui rends visite, elle est dehors en train de coudre, de tresser une enfant ou simplement assise par terre avec sa marmaille, et, malgré tout ce qu’elle doit accomplir, elle a partagé avec moi le résultat de son labeur.
Voici trois pages de quotidien camerounais. Entraide, partage, bienveillance, bonté et charité sont les éléments qui composent ma poudre de perlimpinpin qui, si habilement, soigne mes ennuis.
Et de retour au Québec, vous pouvez être assurée que je m’ennuierai d’eux et…Je sais qu’ils s’ennuieront de moi….Comme vous vous ennuyez de moi présentement…
Bonne semaine à tous.




mercredi 20 avril 2011

SEMAINE 15 - GUINAROUS

Guinarous ou morts vivants

Les Guinarous sont des morts vivants. Ils reviennent toujours au mois de mars et avril. Seuls les gens qui veillaient au maintien des rites liés à la tradition reviendront hanter le village sous la forme d’un Guinarou. Ils ne reviendront pas seuls, ils seront accompagnés d’autres Guinarous

De toute évidence, avec la modernisation, ils seront de moins en moins.

Le Guinarou est poilu et noir et se promène avec la chicotte. Seuls les hommes ou les garçons initiés par les rites traditionnels peuvent les voir. Les autres doivent fuir, courir et se cacher pour ne pas se faire frapper, voir même tuer.
Les Guinarous font peur, terriblement peur.

Voici le cumul des informations que j’ai glanées ici et là concernant les Guinarous.
Maintenant, ma petite histoire…

Samedi matin, nous sommes là, Bouba et moi, à prendre notre petit déjeuner lorsqu’il m’explique qu’il y aura les funérailles de son grand oncle à Lara, son village natal, et que les Guinarous seront là. Son grand-oncle veillait au maintien de la tradition…

Je le sermonne, pourquoi ne pas l’avoir dit avant. Il se défend : «ne vous l’ai-je pas dit non ?». Il sourit, il rit alors que je riposte. Il est tôt, les Guinarous se pointeront dans l’après-midi seulement. Je lui dis : «Nous avons le temps, on prend l’autobus et on part». Il dit que ça prend l’argent, à mon tour, je souris, je ris…Ne sait-il donc pas que je paie dans pareilles circonstances…

Tout dou-ce-ment et mine de rien, je lui propose de payer son billet.

Il dit :«Bon». J’adore ce mot qui débute ses phrases où il devra m’expliquer ou élaborer davantage, mais là…J’ai peur qu’il refuse.

Son «Bon» est suivi d’un silence, comme toujours.

Il reprend toujours la parole en regardant par terre et ses mains bougent, tout doucement, suivant le rythme de ses mots.
La cadence installée, il m’explique que…il doit d’abord voir sa belle-sœur, celle chez qui il demeure. Le stress redescend. Je crois que ce sera possible.

Avant, je m’assure que cette sortie lui plaira, je lui rappelle qu’il verra sa femme, son fils, sa famille et ses amis, mes arguments sont forts, très forts.

Il part alors vitement et vivement pour revenir 10 minutes plus tard et me dire que nous partons.
On se dépêche, on veut attraper le prochain autobus.

10h30, nous arrivons chez son père. Il me laisse seul avec cet homme, ce sage qui, par sa carrure et sa stature peut intimider. Nous causons, causons et causons. Que d’histoires. Nous reprenons là où nous nous étions laissés la dernière fois que nous nous sommes vus.

Tel que précisé dans mon dernier blogue, chez les Camerounais, la répétition du verbe d’action veut dire qu’il y a eu beaucoup d’intensité.

Et puis, arrive son frère, son père doit se rendre au marché pour vendre la farine de soja qu’il a préparé. Les revenus iront à l’organisme qu’il a mis sur pied en 1986 qui a pour objectif de venir en aide aux plus démunis en leur offrant le mil et les denrées nécessaires pour les soulager quelque peu de la famine.

Avec son frère, je cause, cause et cause. Pendant tout ce temps, Bouba est disparu. Je sais qu’il est parti voir sa femme Sylvie et son fils et qu’il reviendra avec eux.

Voilà sa femme Sylvie, bébé au dos. Tous deux contentes, nous nous embrassons et se serrons très fort. Nous causons, causons et causons.

Revoilà Bouba. Il a une moto. Il savait que nous en aurions besoin pour aller voir les Guinarous. Il l’utilisera aussi pour aller voir ses amis et le reste de sa famille. J’ai du plaisir à le regarder tellement il a l’air heureux.

Dans son village, tous le reconnaissent et l’interpellent pour le saluer. Je lui signifie que j’ai bien vu que les gens étaient tous contents de le voir et il en est très fier.

Malgré tout cela, il sait qu’il doit prendre soin moi et c’est pourquoi il est revenu. Les plans sont bien établis, je dois le suivre. Je dois surtout l’écouter.

Au cours du trajet en moto qui nous mènera vers les Guinarous, Bouba me donne des directives très claires, je dois rester loin loin loin et ne pas «filmer». Pour eux, filmer veut dire prendre des photos.

Il ajoute, le doigt levé : «je ne veux pas avoir de problèmes hein…».
Ici, les rôles sont inversés, il est le patron. Je le rassure avec des mots que je répète trois fois.

Il me dépose chez sa cousine. Je suis accueillie avec le bili-bili, cette bière de mil artisanale. Sa cousine demeure dans les huttes de terre. Elles sont placées en cercle et c’est dans l’espace extérieur qui donne sur les portes des trois huttes que nous nous trouvons. On sort la natte et le banc, on me fait choisir. Je choisis la natte et m’assois par terre. La conversation est difficile, les gens des villages ayant un certain âge ne parlent que le patois. On se sourit et ça suffit. J’aime le bol dans lequel on me sert le bili-bili, une calebasse.
La calebasse est le fruit du calebassier. Une fois vidé et séché, il peut servir de récipient.

On me donne la calebasse dans laquelle je bois tellement j’ai pu dire que c’était beau, beau et beau.

L’intensité se retrouve également dans la répétition des adjectifs qualificatifs.

Ne riez pas. Ce n’est rien de banal. On insiste en haussant le ton légèrement, on ajoute une expression faciale unique à chacun et si l’autre n’a pas compris alors tant pis. Vous verrez quand je reviendrai, vous devrez me rééduquer…Ou m’imiter…À suivre…

On me sert de l’eau, je refuse en expliquant avec des gestes. Ils comprennent rapidement. Ils savent que les blancs ont le ventre fragile.

Et puis, comme par magie, voilà Sylvie et la maman de Bouba qui nous rejoignent chez la cousine. Bouba avait encore disparu, mais cette fois, pour aller chercher ces dernières.

On parle des Guinarous. Les femmes sont apeurées à l’idée que je veuille les voir, mais en même temps, elles rient et me tendent la main et toujours cette poignée de main camerounaise. Elles me racontent que, dans la nuit précédente, ils étaient tout près, elles les ont entendus. C’est sérieux, les Guinarous font vraiment peur aux gens du village.

Après quelques temps, nous repartons à pied pour que je puisse être dans un endroit stratégique pour voir ces morts vivants…

Bouba me répète que je devrai me cacher. Me cacher, cacher et cacher.

Tout en marchant, un homme s’approche et m’offre de «filmer» pour 15 000 Fr. Je refuse, je n’ai pas besoin de photos. Plus tard, je n’obtiendrai que des félicitations, les membres de la famille de Bouba sont insultés, ils n’en reviennent pas.

Une fois arrivée à l’endroit choisi, il y a des gens de tout âge. On me pointe l’endroit où se trouvent les Guinarous. Nous nous asseyons, Sylvie et moi avec deux autres femmes sur la racine d’un arbre et nous palabrons, palabrons et palabrons. Tout près, il y a la cousine de Bouba qui vend le bili-bili. J’achète pour 200 fr mais c’est beaucoup trop. Je partage.

Après quelque temps, tout en riant, Sylvie se penche sur moi pour me traduire dans l’oreille ce qu’elle entend des villageois : «..Ils te trouvent courageuse d’être avec nous..», «..ils aiment ton sourire..», «..ils disent que c’est Bouba qui a apporté la blanche..». Nous rions et se serrons la main.

Chaque fois que je lève les yeux, je croise des regards, un, deux, trois ou quatre…Pour chacun d’un, un sourire et un geste de salutations très discret. Leur réponse est de même.

Je suis un peu gênée. Les plus âgés viennent me serrer la main en se penchant et souriant, ils disent «haham» ou quelque chose dans le genre. Il importe peu de bien vous écrire ce son qui s’accorde avec ce sourire et cette main tendue. Cette générosité et cette convivialité que je reçois me font tellement plaisir. Je suis accueillie dans leur village, dans leur quartier, au cœur de leur fête traditionnelle, tout ça est bon et beau.

J’achète des carrés de pistache, je partage et voici que les commentaires recommencent.
Encore une fois, S
ylvie traduit pour moi : «..Ils sont surpris que tu manges..», «..ils aiment ça que tu manges, ils sont contents, contents, contents..».

Sylvie se lève pour rejoindre une amie et voici que, comme partout dans le monde, quelques hommes saouls qui m’abordent pour me dire que je ne devrais pas être là, le Guinarou sera très en colère. Aussitôt, je suis prise en charge par trois femmes qui me diront de venir s’asseoir avec elles. Elles répondent à ces hommes et les menacent, le doigt en l’air, les sourcils froncés et leurs directives sont claires, je dois m’asseoir près d’elles et y rester, ces derniers ne doivent plus m’importuner. Plus encore, je ne dois surtout pas répondre à ces hommes, elles s’en chargeront.

Soudain, Sylvie qui m’avait laissé seule revient et m’attrape par le bras, je dois me sauver, les Guinarous sont là…Tous ces gens qui courent, courent et courent, la peur sur le visage…Presque incroyable, on m’amène dans une case, on me cache et on me dit de ne pas bouger…Quelques minutes plus tard, les Guinarous sont retournés, je peux sortir.

Et ça recommence encore, vite vite vite, dans la case.

Je vous le dis, aussi farfelu que ça puisse vous paraitre, les gens ont réellement peur. C’est sérieux. Voir cette mer de monde courir pour se sauver impressionne. On se bouscule pour rentrer dans les cases disponibles, on crie, on se bouscule et on se ressaisit que lorsqu’ils sont certains d’être en sécurité.

Dans les cases, il n’y a pas de problème, le Guinarou peut seulement retourner dans la case où il vivait avant de mourir.

Je ne suis pas terrorisée par les Guinarous mais par la peur que je lis dans les yeux et le visage des femmes plus âgées. Les plus jeunes en riront, mais pour les aînées, c’est une autre histoire. Elles ont probablement plus de récits que nous. Autrefois, le Guinarou pouvait tuer s’il attrapait un contrevenant. Peut-être ont-elles été témoins de la mort d’un frère, d’une sœur et que leur mémoire a été marquée à tout jamais. Qui sait ?

Pour ma part, le Guinarou, je l’ai vu même si je ne devais pas le voir. Je suis resté assez longtemps sans me cacher pour l’apercevoir. Noir et poilu, il tient sa chicotte et frappe. Il court vite, très vite même.

Une fois sortie de ma cachette, les femmes du village me gardent tout près d’elle. Une fois assise, le bili-bili m’est encore servi. «Il faut boire, il faut boire». Je bois.

Et puis, j’entends «Nassara», je me retourne et tout près de ma bouche, une cuillère avec de la nourriture. Je goûte, c’est très bon. On m’en offre encore. «..Il faut manger, il faut manger..». Je mange.

Le verbe boire et le verbe manger ont été écrit qu’une seule fois. Je ne veux pas me saouler et je ne veux pas ambitionner sur la nourriture si généreusement offerte.

J’apprendrai plus tard que j’ai mangé de la peau de bœuf. On brûle le poil, on gratte, on bout, on assaisonne et on mange. Je vous le dis, c’était bon, bon, bon.

Toujours assise, un homme s’approche de moi pour me dire qu’il a connu des blancs du Canada, il était fier de partager avec moi. Il se lève et me ramène une énorme calebasse remplie de bili-bili. «…il faut boire, il faut boire..»…Je bois et partage avec les autres femmes.

Je ne sais comment vous traduire ce que je vivais, là, entourée de gens bienveillants qui voulaient que je conserve le meilleur des souvenirs de mon après-midi avec eux.

Ces femmes aux sourires édentés, aux pieds avec une corne fendillée, voire même fendue ici et là, sur les talons, la plante du pied, le côté du gros orteil, enfin, du talon à la pointe des pieds, stigmates de leur vie passée à marcher pour l’eau, le bois et tous les travaux domestiques qui leur sont réservés.

Et ces mains qui servent avec cœur. Je revois encore cette femme couper la peau de bœuf, puisant dans le bouillon pour attraper, les gros morceaux et en faire des petits pour ensuite m’offrir avec un sourire fort généreux maintenu par le plaisir qu’elle éprouvait à me voir goûter, manger, apprécier et me lever pour lui tendre la main tout en la remerciant et tentant de lui faire comprendre avec des gestes que c’était bon, très bon.

Je me remémore toujours leurs yeux plissés par le soleil, leur volonté de me faire comprendre, tendant leurs mains avec le plat de nourriture, assises sur le sable alors que je dois absolument m’asseoir sur leur natte…

Difficile. Elles n’ont presque rien, mais réussissent quand même à partager, à offrir, à donner, à sourire et rire avec coeur. Je n’abuse de rien tout en sachant que je dois accepter leurs offrandes et «..qu’il faut manger, qu’il faut manger…».

Ces femmes, ces mamans, ces grand-mamans représentent beaucoup dans cette société en développement. Certes, il y a beaucoup de travail à faire et la vie demeure incertaine.

Une observation qui se passe de commentaire…Les femmes vendent le bili-bili et la nourriture qu’elles ont préparés, bébé au dos et sourire aux lèvres alors que les hommes se saoulent.

Bon.

Silence.

Je reprends la parole en regardant par terre, mes mains bougent, tout doucement, suivant le rythme de mes mots.

La cadence installée, je vous explique que…Le Cameroun, c’est tout ça. Des individus qui, conscients de leur sort, se retrouvent dans ce qui leur permet de continuer…Le partage, la famille, la grande famille, la fête et cet accueil qui leur est propre.

Je remercie Bouba et sa famille. Je me suis chaleureusement délectée de tout ce qui a composé cet après-midi mémorable…

mercredi 13 avril 2011

SEMAINE 14 : Samedi 2 avril 2011

Samedi, 2 avril 2011, 07h00
Nous sommes quatre à nous être donné rendez-vous pour partir de Yagoua vers Lara et Moutouroua. Deux collègues de travail, Bouba, mon gardien de nuit et moi-même.
Je me rends à Lara avec Bouba pour visiter sa famille et gravir la montagne qui surplombe le village. Nous devons nous rendre tôt, la randonnée doit se faire en matinée sinon, le soleil sera trop fort. Les autres continueront jusqu’à Moutouroua pour aller chercher du mil et reviendront le même jour.
Nous avons un camion muni d’une boite pour le transport de la marchandise, à l’avant, trois places pour les passagers. Nous sommes quatre à être entassés l’un sur l’autre. Je suis assise sur le moteur et je cuis. On m’offre une autre place, mais je refuse. Hors de question que je chauffe mon gardien de nuit. Je trouve deux livres et les place sous ma fesse gauche, celle qui s’appuie sur le fer qui me brûle. Opération réussie, je suis confortablement assise entre le chauffeur et Bouba et je ferai le voyage sans trop de peine. On a gagé que je déménagerais avant la fin du trajet...Ils ont perdu.
Ce camion est la propriété du CODASC, mon employeur, il sert davantage à l’équipe de forage des puits qui se promènent un peu partout dans le département. Ils font un travail extraordinaire. Justement, la semaine dernière, je travaillais à la rédaction d’un projet de réhabilitation de 143 puits hors d’usage. Nous espérons que le partenaire acceptera le projet.
Ce matin-là, avant notre départ, nous avons chargé de la ferraille, des vieilles portes et de vieux morceaux de métal rouillé qui serviront ultérieurement pour la construction d’une maison.
Ici, tout se récupère.
Tout.
Bon, presque tout.
Enfin, nous partons. À peine avions-nous roulé dix kilomètres que nous sommes interceptés par un minivan qui transporte une quinzaine de passagers. Le chauffeur nous montre un véhicule renversé et nous dit : « Nous avons besoin d’aide pour le transport des blessés, y’a déjà un mort ». Le chauffeur recule alors le camion vers le véhicule et nous descendons. Par terre, un homme se roule, torse nu, le cellulaire sur l’oreille alors qu’un autre homme marche de long en large.
Que le désarroi et la détresse de ces hommes pour fracasser le silence matinal de la brousse.
Le minivan repart, nous prenons la relève.
Les trois hommes qui m’accompagnent ne font ni un ni deux, ils sont là, sortant les corps de deux jeunes femmes du véhicule alors que la troisième demeure coincée.
Elle est morte sur le coup.
Mes amis prennent les jeunes femmes et les déposent dans la boite du camion, sur un espace restreint aménagé pour l’urgence du moment.
Coincées entre la ferraille et la porte qui se refermera sur elles, elles y trouveront la mort si ce n’est déjà fait au moment où nous les avons déplacées.
Pour ma part, que des sanglots étouffés. Ils sont déjà trois. Leurs six mains suffisent à la tâche, l’espace est restreint. Je demeure à l’écart.
Quant aux hommes qui ont survécu, ils montent à l’avant du camion et, accompagnés de mes deux collègues, ils se dirigent vers l’hôpital de Yagoua.
Pas de place pour Bouba et moi. Les deux hommes blessés à l’avant du camion et les femmes inanimées dans la boite.
C’est cette image qui ne passe pas. Pourtant, ce qui devait être fait a été fait. Bien fait même.
Nous travaillons avec ce que nous avons. Une boite de camion…Le fond de la boite…De la ferraille…Deux femmes…
Ici, on n’a rien et «on fait avec» comme le disent les Camerounais.
Nous nous sommes alors retrouvés deux, sur une route déserte, un véhicule accidenté, le cadavre d’une jeune femme, des mouches qui nous empêchent de rester en place et puis, une moto, et une autre.
On s’inquiète, on me demande si je vais bien. Je leur raconte l’histoire, leur dit que ce n’est pas mon véhicule. On s’approchera pour voir et repartir, cantonnés dans un mutisme imprévu, le regard désolant et leur vitesse ralentie par les images.
Au loin, un chien se pointe. Bouba est vigilant, il prend des cailloux et fonce en criant à l’homme au loin : «Y’a l’accident, y’a le sang…Appelez votre chien»…
Bouba est formidable, il n’arrête pas de me surprendre, il pense à tout. Il sait beaucoup de choses. Il connait son pays, sa culture, ses gens et plus encore.
Les gendarmes arrivent, calepin en main. Au loin, des paysons qui marchent pour venir voir l’accident. Avec eux, des enfants…C’est trop…Je sors une camisole bleue de mon sac, me dirige vers le gendarme, la lui tends tout en lui demandant d’éviter que les enfants voient…Il part et couvre le visage et le crâne de la jeune dame décédée.
On m’a informé un peu plus tard qu’habituellement, on couvre le visage des cadavres avec des feuilles. Pour cette fois, ce sera ma camisole de couleur bleue qui servira de voile.
Dans le décor jaunâtre du sahel, le bleu du voile improvisé détonne.
Nous attendons le retour de nos amis. Les revoilà. Nous montons et reprenons la route. Ils nous apprennent alors que les deux dames sont décédées avant leur arrivée à l’hôpital et qu’ils sont inquiets pour le chauffeur qui crachait le sang. On croit qu’une des femmes était morte avant le transport.
Le gros camion dans lequel je suis ne peut pas aller bien vite. Je suis rassurée. C’est comme ça, après la vue d’un accident, on roule plus doucement.
Et puis, les hommes se sont mis à parler, à dire, à redire, à décrire et…À se taire, ici et là, quand l’un d’eux terminait, fermait ou achevait la discussion par une phrase qui clos : «Dieu en a voulu ainsi», «…c’est comme ça», «...le destin», «…trois jeunes femmes», et j’en passe.
Au cours de la conversation, nous apprenons que le cellulaire d’un de nos amis a été emprunté par un des hommes blessés. Suffisant pour qu’on le rappelle puisque tous les cellulaires ont un afficheur.
Notre ami nous le confirme, c’est déjà fait. Une dame l’a rappelé lui demandant qui il était : «un infirmier qui passait par là», et comment vont les femmes : «je suis désolé, elles sont mortes».
Fin de la conversation.
On ne sait pas qui a appelé, la mère, la sœur, l’amie, enfin, il s’agissait surement d’une personne proche puisqu’elle avait été contactée par un des blessés.
Tout en nous racontant cette courte conversation qu’il a eue, mon ami ouvre son cellulaire et constate qu’on lui a pris 4000 FR de crédit de communication. Il referme son cellulaire et le replace dans sa poche en soupirant et haussant les épaules. Personne n’ose dire quoi que ce soit. Vous savez, c’est beaucoup d’argent 4000 FR pour une personne d’ici. Maintenant, son téléphone est presque vide.
De ces courts silences que l’on croit interminables…Il en était un…Que le ronflement du moteur et le vacarme de nos pensées communes. Nous étions tous coincés entre ces images de la mort et la vie qui doit continuer.
En d’autres circonstances, nous aurions sympathisé avec cet ami qui venait de se faire prendre 4000 FR de crédit.
On a repris la conversation avec des choses simples qui ne durent pas. Briser le silence qui fait mal. Voilà ce que nous tentions de faire. Bien que nous voulions sortir du sujet, nous y revenions sans cesse et chacun y allait de son histoire personnelle.
Au retour, on m’informe qu’à la morgue, les gens de l’hôpital ont laissé les gens du village aller voir les corps.
Inhabituel selon une dame d’ici. Inhabituel et __________. Ici, vous pouvez ajouter le mot que vous voulez. Vous êtes maintenant dans un blogue interactif.
Mon fils ajoutera TIA. This is Africa. Que les cinéphiles se mettent à l’ouvrage.
L’histoire la plus crédible et la plus constante, il s’agissait de la femme du juge de Kousséri, la femme du juge de Maroua et d’une étudiante qui venait de terminer sa formation au Canada. Les deux hommes ont survécu. Par moment ils étaient morts, par moment, ils étaient vivants, mais dernièrement, un homme qui connaissait l’un d’eux m’a dit que les deux hommes s’en étaient tirés.
Sur les lieux de l’accident, alors que j’étais seule avec Bouba, il m’a demandé ma caméra pour pouvoir prendre des photos. Je ne voulais pas et il m’a expliqué que c’était pour son papa.
J’ai accepté. Difficile à concevoir, mais, lorsque je l’ai vu, un peu plus tard dans la journée, seul à seul avec son père en train d’échanger sur l’accident, caméra en main, j’ai pensé que c’était libérateur pour lui. Son père est un grand sage, il a été infirmier de brousse pendant 38 ans, ses histoires sont nombreuses. Un des premiers chrétiens à avoir eu la chance de bénéficier de la science des blancs. Il a jumelé médecine traditionnelle et la médecine moderne. Il est âgé de 71 ans, un des monuments du village.
Le lundi suivant l’accident, je marche vers le travail lorsque j’entends un pas derrière moi. Je me retourne, il s’agissait du chauffeur du camion qui nous transportait le jour de l’accident.
Incroyable. Je pensais justement à lui. J’avais hâte de le revoir.
Sur les lieux de l’accident, alors qu’il finissait de transporter les corps, nous nous étions retrouvés là, tous deux, un peu en retrait, à simplement se regarder, se baisser les yeux, se regarder à nouveau et ainsi de suite. Pris dans la même émotion, les yeux embrouillés, la gorge nouée et la tête frottée et serrée par nos mains et nos doigts. Une communion. Nous étions tous deux dans le même chagrin, que le regard pour communiquer notre impuissance.
Ce lundi matin, en me retournant, nous nous sommes regardé, mais cette fois…Un regard soutenu et sans qu’un mot ne soit prononcé, nos mains se sont rencontrées pour se serrer.
Nos yeux, nos mains, notre gorge avaient été libérés par le temps.
Il a parlé le premier :
-Ça va?
-Oui et toi?
-Ça va.
-Et la tête?
-Ça va.
Le sanglot n’est plus. J’ai parlé, parlé et parlé.
Ici, lorsqu’on veut dire qu’on a fait le geste avec intensité, nous répétons trois fois le verbe d’action au même temps.
Attention, je me reprends, nous avons parlé, parlé et parlé. Il a aussi parlé, parlé et parlé.
Et cette image passe mieux. Ce qui devait être fait a été fait. Bien fait même.
Je lui raconte ma fin de semaine. J’ai rejoint un autre volontaire et sa femme à Kaélé. J’y ai mangé des criquets rôtis et bu le bili-bili.
Vous vous souvenez du blogue de la semaine six où je mentionne avoir eu peur d’un insecte qui faisait un BZZZZZ d’enfer…C’était un criquet. Relisez le paragraphe précédent, j’ai mangé un criquet, deux et puis trois.
Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas.
Enfin, il est heureux d’entendre que j’ai gouté le bili-bili, la bière de mil artisanale fabriquée par les femmes d’ici. Il écoute et interroge mes impressions.
Délicieux, c’est délicieux.
Et l’odeur…Ces agréables effluves m’ont rappelé…Le 24 juin…Notre fête nationale…Les Plaines…
Et puis, j’ai soudainement eu un goût de saucisse et de choucroute…Et j’ai pensé que nous étions de très bons producteurs et buveurs de bière…Et j’ai tout de suite freiné ces pensées soudaines qui se terminent par…«…j’ai hâte…ça me manque…c’est-y assez bon…etc.»
Nous continuons la route ensemble. Il est grand, très grand. J’accélère le pas pour ne pas qu’il piétine.
Je crois sincèrement que ce matin là, le Bon Dieu l’a placé sur mon chemin. Je vous le redis, j’avais hâte de le voir.
Tout bien réfléchi, peut-être est-ce les esprits de ces dames qui l’ont vu être fort et courageux et qui ont cru bon que nous partagions le plus rapidement possible ?
Je lui ai aussi dit que je l’avais trouvé formidable. Il a répondu : «On fait comment?».
Dans un blogue précédent, je vous ai parlé de ce «comment» que l’on utilise à tout moment.
J’ai souri. À mon retour, vous excuserez tous les «comment» que je dirai…Mieux encore, si le cœur vous en dit, vous y répondrez par une poignée de main et un sourire.
Je continue avec le chauffeur. Il en vaut la peine.
Anecdotique mais, avant ce samedi matin, je le connaissais peu. Pire encore, un matin, il s’est arrêté près de moi avec sa moto pour me dire : «Bonjour Alyne. Monte» sans ajouter quoi que ce soit. Je me suis sérieusement demandé qui était cet étranger qui m’offrait un transport. J’ai rapidement conclu que c’était un collègue de travail puisque nous seuls empruntons ce sentier.
Ce lundi matin, un contact fort différent. Ensemble, nous avions vu et vécu.
Nos salutations ne seront plus jamais les mêmes.
Ah oui…Finalement…Je n’ai pas gravi la montagne. Nous avons reporté l’activité.

mardi 5 avril 2011

Semaine treize (Texte intégral)

On m’avait prévenu.
Mars et avril, tu auras chaud, «…on sue comme des cochons». Je vous assure, je sue comme une cochonne.
Mars et avril, « …j’avais quatre ventilateurs et ça ne suffisait pas». J’ai un seul ventilateur et il ne suffit pas.
Mars et avril, «…c’est comme être près d’un feu de camp, tu as chaud, tu veux t’éloigner, mais, le feu te poursuit». Depuis quelques semaines, le feu me poursuit.
Il fait chaud. Ma peau transpire comme jamais. Je bois sans que mon système urinaire obtienne sa juste part. La répartition des liquides n’arrive pas à se faire, la chaleur assèche toute boisson qui entre dans mon corps et l’évapore juste là, dès l’entrée. Le cou, les aisselles, le thorax, le pli des coudes transpirent et tout le reste du corps en arrache.
Je vous le dis, j’ai parfois peur pour mes reins…Vous savez, ces organes de l’élimination de nos déchets organiques qui orchestrent nos urines selon nos absorptions fluides…Je crois qu’ils sont présentement au chômage.
Bon, papa et maman, pas de panique quand même, j’urine, mais moins. Jaune le matin, jaune et jaune le soir alors qu’habituellement le jaune est présent que le matin. Pour la quantité d’eau que j’absorbe, je devrais courir les toilettes, mais, ce n’est pas le cas.
Quand je vous dis que je transpire…
À mes amies, ami au féminin pluriel, que mes amis, ami au masculin pluriel, continuent la lecture avec retenu et discrétion. En aucun temps, lors de votre retour, vous aurez le droit de vérifier si les éléments contenus dans les prochains paragraphes sont vrais.
Des précisions s’imposaient. Allez voir pourquoi.
Prise deux.
À mes amies, (ami f.p.),pour la première fois de ma vie, j’arrive à suer et mouiller mon chandail juste là, sur mon thorax, mon buste, mon cœur, ma poitrine ou mon torse, juste là, entre mes «deux seins».
La première fois que j’ai constaté que je ruisselais suffisamment pour laisser des empreintes d’humidité à cet endroit, je ne savais que faire. Je décollais le tissu de mon chandail de ma peau en l’aérant, mais c’était inutile. Les traces demeuraient. Honnêtement, j’étais presque déçue d’être seule. J’aurai tellement aimé que l’on puisse imaginer qu’à cet endroit précis de mon corps se trouvait suffisamment de chair pour me faire transpirer.
Qu’à cela ne tienne, dès lors, ne pouvant partager ce moment de félicité unique, je décidais d’en faire un blogue. Comment ne pas partager cette expérience sensorielle ou mon corps s’est soudainement senti transformé.
Mes amies, (ami f.p.), actuellement, je sue comme si j’avais une «craque». Une seule chose, j’en ai les inconvénients sans en tirer les avantages.
Tout cela n’est pas sans me rappeler certains souvenirs où certaines de mes amies, (ami f.p.), m’avaient suggéré de mettre un peu d’argent sur mes outils promotionnels, en occurrence, mes seins. Croyez-le ou non, ces amies, je les aime encore. Avec le temps, j’ai appris que les relations franches et honnêtes sont celles qui durent le plus longtemps.
Et cette expression «outils promotionnels» qui me fait encore sourire n’est pas de moi mais d’une amie qui est doté d’une intelligence forte vive jumelée à un esprit ludique. C’est pour cela que je l’aime…Et plus encore.
Et à cette discussion animée entre amies racontée à mes trois adolescents, l’un d’entre eux, ou peut-être même les trois, m’avait suggéré «le kit à 5000». Mais qu’est-ce qu’un «kit à 5000» leur avais-je demandé…Fort simple, il s’agit du résultat d’une augmentation mammaire.  
Eux aussi je les aime encore.
Aujourd’hui, je suis fière de ne pas avoir investi un seul denier. Ces deux éléments de mon corps demeurés étrangers jusqu’ici le demeureront.
Je poursuis.

J’ai vraiment chaud. Je prends deux et parfois trois douches par nuit. Je suis en train de dérégler le coq du voisin qui chante à chaque fois que j’ouvre et ferme le robinet de ma douche. Il a dû, depuis mon arrivée, régler ses chants à mes douches matinales et n’arrive pas à comprendre ce qui se passe. Résultat, je me douche et il chante.

Ivan Petrovitch Pavlov serait certes heureux de constater que mêmes les coqs ont des réflexes conditionnés. S’il avait fait ses expérience ici, dans ma maison, la science de la psychologie nous parlerait du «coq de Pavlov» et non du «chien de Pavlov».

Confession que je vous chuchote par remords…Ce coq, j’ai rêvé de le manger. Je l’ai vu rôti, bouilli, en sauce, en pâté, en brochettes, en soupe, en fondue, en grillade, etc. J’ai cessé mes fantasmes le jour où je me suis dit qu’il avait peut-être aussi chaud que moi, qu’il ne savait pas comment suer comme un «cochon», qu’il n’a pas de ventilateur, que le feu le poursuit et que, le pauvre, il ne peut pas prendre de douche pour se rafraîchir. Pire encore, je ne chante pas pour lui.
Ce n’est pas terminé. Lorsque je respire, tout est chaud. Je sens la chaleur dans ma bouche, mon œsophage, mon larynx, mon gosier, ma fale, tout y passe. À ces mêmes amies, (ami f.p.), à qui je m’adressais tout à l’heure, n’ajoutez rien, je vous connais et je vous entends d’ici, vos remarques grivoises traversent l’océan…Il ne s’agit que de la chaleur que je sens dans ma bouche…Compris…
Désolée pour les autres lecteurs, je veux juste limiter le flot de commentaires appréhendés par mes amies aux propos épicés.
Je continue, l’intérieur de mes narines sèche et doit être constamment arrosé d’eau. On y va de nos doigts. Le mouchoir étant, de toute évidence, une entrave au bon travail. La poussière de l’air, le sable et la pollution des feux allumés ici et là pour brûler les déchets domestiques s’entassent, s’empilent, se cumulent pour se coller, se greffer à vos parois nasales. Inutile d’en ajouter. Je n’ai de mots pour vous décrire et je ne veux en trouver.
À votre peau se colle toutes particules étrangères qui se trouvent dans l’air et votre transpiration garde tout, conserve tout, retient tout. Pire encore, lorsque l’harmattan, ce vent très chaud et sec soufflant du Sahara se lève et ne fait que poussière votre environnement, vos yeux piquent et vous craignez la conjonctivite.
Parfois, je n’ose plus me toucher ou me gratter avant d’avoir lavé mes mains. Je me sens sale.
Je me demandais sincèrement si, en Afrique, nous parlions du climat ? Eh bien oui. Le matin, lors de ma marche matinale, on me demande : «C’est comment ? Et le soleil ? Et la chaleur?»….Même les gens d’ici s’en plaignent. Ils couchent dehors, ils s’entourent d’un drap mouillé, ils boivent et transpirent autant sinon plus que moi.
Tout mon linge de couleur pâle est jauni par la transpiration. Le javellisant ne fournit pas.
J’ai longuement pensé à me faire un nid dehors, mais, les cafards me faisaient peur. Bouba, mon gardien de nuit, m’a convaincu et a trouvé un endroit pour installer ma moustiquaire. Je me suis assuré de son étanchéité et j’ai dormi, et dormi rêvant à mes amies, ami f.p.. Que de plaisir nous avions. Et pour les amis, ami m.p., j’ai également rêvé à vous. Adorablement, vous étiez tous surpris de lire la suggestion de mes fils…Vous ne compreniez pas…
Et ces expériences de nuit à la belle étoile se poursuivent. Hier, alors que j’avais introduit mon château, soit ma nouvelle chambre extérieure, Bouba a fait le tour de mon matelas avec la craie qui tue les cafards. Il dessinait mon territoire. Intérieurement, j’ai ri. Je ne lui avais rien demandé. Il sait que je déteste les cafards et tente d’éviter tout cri nocturne qui pourrait alerter les voisins, mais, je crois qu’il a aussi fait cela parce qu’il est aimable, fort aimable.
Dans toute cette histoire de chaleur, le seul point positif, un avant gout de ce qui m’attend. J’entends encore ma maman se plaindre de la chaleur lors de sa longue traversée ménopausique…Génétique aidante, je devrais vivre l’Afrique en Amérique sous peu.
Pour moi, que le mois de mai arrive avec ses températures plus froides.
Pour vous, que le mois de mai arrive avec ses températures plus chaudes.
Je signe ce que je signe depuis peu…
Votre Alyne qui transpire, sue, sécrète, suinte, dégoutte, ruisselle, nage, dégage, pue, etc.

lundi 4 avril 2011

SEMAINE DOUZE - ADAMO ET NASSARA (texte intégral)



Témérité ou absence de vigilance, je ne sais point. Une chose est certaine, j’ai suivi mon instinct.  Sourire, candeur et fraîcheur ont suffi pour faire tomber l’état de veille constant que nous devons adopter pour éviter les ennuis ou pour prévenir toutes situations malheureuses.

Dans cette histoire, l’avenir me dira s’il s’agissait d’une leçon ou d’une bénédiction.



De prime abord, vous devez savoir qu’ici, à Yagoua, j’ai mon chauffeur de mototaxi qui sait combien je n’aime pas la vitesse.  Il est ce que j’ai de plus précieux pour mes déplacements divers.



Or, chaque fois que je vais à Maroua, ville située à environ 200 km de Yagoua, trouver un chauffeur de mototaxi comme lui est difficile.  Que d’aventures j’ai eues.  Un qui ne connaissait pas l’endroit où je lui demandais de m’amener, l’autre qui roulait un peu trop vite, un autre qui était un peu trop téméraire, enfin... Au cours de la dernière fin de semaine, je m’étais donné comme mission d’adopter le prochain chauffeur qui me plairait.

Vendredi matin, sur le coin de la rue, attendant sagement un mototaxi, voilà qu’Adamo se pointe. Avant de monter, je lui ai dit «maman a peur, il faut aller doucement».  Il me répond «Maiaiais y’a paaaaaas de problème» avec un accent et une prononciation toute particulière, le français est certes sa troisième langue, mais il se débrouille.  Il s’exprime avec des phrases courtes et simples, sans fioriture inutile. Nous sommes de véritables contrastes dans le domaine.

Un voyage des plus doux.  Aucun freinage brusque ou accélération inutile. J’aime sa conduite, elle est comme celle de mon père ou un de mes frères, mais lequel…Je les vois se poser la question.



À la fin du trajet, je lui demande son numéro de téléphone et lui explique que j’aimerais qu’il vienne me chercher vers 16h30. Il me répond : «Mais y a paaaaaas de problème» et c’est là que notre histoire débute.

Tel que prévu, vers 16h30, je l’appelle et il me dit : «J’arrive, vous m’attendez».  Tous les participants ont le temps de partir et je reste là.  On me dit qu’il ne viendra pas, mais je décide de lui faire confiance. J’avais raison, il arriva, tout en peine, m’expliquant dans ses mots son retard : «J’étais très loin, trèèès très loin». 



Le «è» du «très» est étirée tout comme le «a» du «pas de problème» et le «ai» du «mais».



Et puis, je lui dis que le soir même, j’aurai besoin de lui pour aller souper et ensuite revenir à la maison.  Il répond toujours : «Mais y’a paaaas de problème» et toujours, la conduite est impeccable.



Je lui annonce que le lendemain, il devra me cueillir à la maison pour aller travailler et ensuite me ramener à la fin de la journée. Il me demanda alors quelque chose d’étrange, il voulait conserver mon numéro de téléphone et prendre «la photo de la blanche».



Pour cette demande, il me parle doucement et m’explique qu’il serait bien content, mais surtout, que ses parents seraient «trèèèès contents». 

Ses explications furent plus longues que celles que je vous livre. Beaucoup de délicatesse et de soin pour chacune des syllabes prononcées. Sa gesticule fort posée échappait à toute forme d’excès. Il insistait sur une chose, ses parents seraient «fiers, très fieeeeers» de lui parce qu’il connait «nassara», ce qui veut dire «blanche» dans leur patois.



Afin de rendre justice à ce blogue, vous devez, tout en lisant le présent texte, prendre le temps d’étirer les voyelles lorsque je vous le signifie tout en y allant d’un léger crescendo suivi d’un diminuendo qui rejoindra la dernière voyelle écrite.



Et pour rendre les choses encore plus réelles, imaginez Adamo avec une expression faciale qui témoigne la joie, le plaisir et le ravissement. Un hochement de tête ici et là vous installera tout prèèèès de moi et vous comprendrez alors mon prélude… témérité ou absence de vigilance, je ne sais point…

Mais, vous décrire l’inconfort vécu à entendre les raisons qui motivaient sa demande…De muettes interrogations envahissaient bruyamment mon esprit. 

Je vous invite à bien y penser…On est fier de connaître un «blanc», on le garde dans ses contacts téléphoniques, on veut rassurer ses parents qui demeurent en brousse et pour le faire, on leur dit qu’on connait une «nassara», mieux, on a une photo pour le prouver.



Mais qu’est-ce que la couleur de notre peau a pu laisser comme trace mnésique chez les gens du village ?



Un peu plus tôt au cours du même mois, une collègue m’expliquait que dans certaines tribus, les scarifications sur les visages étaient pratiquées afin que l’enfant noir ne soit pas volé par l’homme blanc. Bien des explications aux scarifications, mais celle-ci m’a saisi.



Trouver un sens à cette situation n’aurait eu de sens. Les propos racistes me seront toujours intolérables et insupportables, davantage lorsque je rencontrerai Adamo.



À mes rebonds émotifs échappant à mon cycle ovulatoire, me rationaliser était impératif. Il fallait que j’éprouve rapidement du plaisir à lui dire «oui» alors que je pensais à cette subordination, cet asservissement qui paralyse et annihile toute dignité humaine. 



Je pensais à l’histoire de son peuple. Je me rappelais de ma visite à la Maison des esclaves située à l’Ile de Gorée (Sénégal). Cette île était le principal point de départ des «nègres» capturés par les blancs sur le continent africain pour les amener en Amérique et en faire des esclaves.

Visiter l’ile de Gorée, c’est un peu comme visiter un camp de concentration.  L’histoire d’un peuple s’y trouve. On y pleure.



Je voulais tellement lui dire que pour ma part, j’étais «trèèès contente» de l’avoir trouvé, mais il n’avait point d’oreille.

J’ai souri, béatement. Je l’écoutais et opinais du bonnet. Une adhésion totale à toutes ses demandes.

Vous avez certes déjà eu des absences momentanées parce que la réflexion, la rumination, la cogitation vous envahissaient. Adamo m’a permis d’être absente, il parlait et je n’écoutais plus.



Et puis, vivement je suis revenue, lui promettant les plus belles photos.



Le lendemain, mon amie a pris deux photos tout près de sa porte d’entrée, lui en dossard jaune et moi derrière lui, bien assise sur sa moto. Il est venu ensuite me conduire au travail.



Je croyais que c’était suffisant, mais…



Sur la route, il a pris tout son temps pour me dire qu’il voulait que la photo soit prise ailleurs.  Fin et prudent, il ne prenait aucun risque. Il me disait : «Il faut porter les beaueaueaux habits», le poing bien serré devant lui le tirant vers son coeur.  J’ai vite dit oui pour le rassurer, pour qu’il arrête d’être fin et prudent.

Il continua en m’expliquant qu’il connait un endroit où «tououout le monde» se rend pour la photo. Il demanda si «la sœur» pouvait nous accompagner. La sœur est mon amie volontaire qui avait pris la photo du matin.



Je n’avais pas saisi les éléments de sa première demande alors je lui ai dit que le lendemain, je serais disponible et qu’il me ferait plaisir d’utiliser mon appareil photo…«Ah ça…c’est un trèèès bon appareil, un trèèès trèèès bon appareil, ce sera de joooolies photos».

Tel que promis, le lendemain, il est venu me chercher pour le travail et lors du retour, il avait un sac que j’ai gardé avec moi jusqu’à ce que je le rappelle pour se rendre à l’endroit choisi.



Dans son sac, les «beaueaueaux habits».



Je l’ai rappelé 30 minutes plus tard.  La «sœur» était prête à m’accompagner dans mon aventure et servir de photographe. Nous nous sommes rendus au pont situé à l’entrée de la ville. 



Confidence : je me suis demandé dans quelle histoire je m’étais embarqué lorsque j’ai trouvé le trajet un peu long. C’est comme ça, plonger sans regarder la profondeur de l’eau...Et de se demander si «témérité ou absence de vigilance» se terminera par «leçon ou bénédiction».



Consolation, j’ai eu droit à une visite guidée de la ville. Il m’a également raconté qu’il était au Tchad en 2008 et que «la guerre l’avait chassé». Je lui ai demandé ce qu’il avait vu et il a dit, sans étirer les voyelles, sans crescendo ni diminuendo et sans expression faciale, que les corps étaient par terre dans les rues, que le sang était là, tout en m’indiquant de la main gauche le goudron sur lequel nous roulions, et que c’était terrible.



Silence.



Une fois sur place, j’ai tout compris.  L’endroit était joli et puis, il a enlevé son chandail et a mis les «beaueaueaux habits». Il était beau, «trèèèès» beau.

Nous avons pris quelques photos et, à chaque fois, il sortait un nouveau chandail et s’habillait et se déshabillait jusqu’à ce qu’il sorte de nouveaux pantalons…Je me suis alors demandé comment il ferait, mais, sans aucune gêne, il s’est changé.



Nous avons regardé dans la direction opposée…Je vous ai mentionné un peu plus haut que je n’étais pas dans mon cycle ovulatoire alors…Nous avons vraiment regardé dans la direction opposée.



Un laps de temps court, mais tellement vivant.  L’entendre dire «oulalala, c’est joooooli…» à chaque fois qu’il se voyait sur l’écran était ma mélodie du bonheur. Et ma copine de me dire combien j’étais téméraire, et de la rassurer en lui disant qu’en cours de route, je me suis demandé si j’avais bien fait…



Et j’avais bien fait.



Et puis, il a encore une fois pris tout son temps pour me dire que lorsque je reviendrai à Maroua, il est possible qu’il ne puisse répondre à mes appels, car il doit entrer au village pour «le mariage». Il a trouvé «la fiancée». Il veut continuer d’être mon «chauffeur» malgré son absence.  Il a expliqué à trois ou quatre reprises de ne pas croire qu’il ne serait plus là, mais de seulement comprendre qu’il devait aller se marier. 

Je lui ai dit que lorsqu’il reviendrait à Maroua, je prendrais des photos de sa fiancée. Il était «trèèèès content».



Le lendemain, j’ai choisi six photos et je les ai «fait laver» comme Adamo sait si bien le dire.



Lorsque je l’ai revu, il avait les «beaux habits».  Il m’a fait remarquer ses cheveux qui venaient tout juste d’être rasés.  Je lui ai dit qu’il était beau, trèèès trèèès beau.



En regardant les photos, les remerciements ne cessaient.  Il m’a dit : «comment faire les cadeaux pour toi».  Je lui ai dit que je n’avais besoin de rien, que ça me faisait plaisir.  Et il a ajouté : «…mais je me souviendrai de toi jusqu’à la fin de mes jours, vraiaiaiaiment…».



Je lui ai alors demandé de pouvoir envoyer sa photo à mes parents, fils et amis et lui disant : «Mon papa et ma maman seraient trèèèès contents de savoir que leur fille est transportée par quelqu’un qui conduit bien, trèèèès bien…».  Et d’ajouter et répéter encore et encore plus fort, en crescendo sans diminuendo : mes parents seraient trèèèès contents, trèèèès trèèèès contents.



Il a accepté. C’est pour cette raison que vous avez sa photo. Contemplez ses beaux habits, son sourire et…Combien il est beau.



Pour me rendre justice, vous devez, tout en lisant, prendre le temps d’étirer les voyelles lorsque je vous le signifie et, plus important encore, exercer ce crescendo en utilisant tououout l’air de vos poumons.

Pour rendre encore les choses plus réelles, il est impératif de me joindre une expression faciale qui témoigne la joie, le plaisir, le ravissement, le contentement et la satisfaction…









Et de vous dire combien je me sentais mieux



Qu’est-ce que cette histoire laissera comme traces mnésiques chez la «nassara» ?



Le quotidien vous disais-je…En voici une parcelle…Inoubliable…