mercredi 20 avril 2011

SEMAINE 15 - GUINAROUS

Guinarous ou morts vivants

Les Guinarous sont des morts vivants. Ils reviennent toujours au mois de mars et avril. Seuls les gens qui veillaient au maintien des rites liés à la tradition reviendront hanter le village sous la forme d’un Guinarou. Ils ne reviendront pas seuls, ils seront accompagnés d’autres Guinarous

De toute évidence, avec la modernisation, ils seront de moins en moins.

Le Guinarou est poilu et noir et se promène avec la chicotte. Seuls les hommes ou les garçons initiés par les rites traditionnels peuvent les voir. Les autres doivent fuir, courir et se cacher pour ne pas se faire frapper, voir même tuer.
Les Guinarous font peur, terriblement peur.

Voici le cumul des informations que j’ai glanées ici et là concernant les Guinarous.
Maintenant, ma petite histoire…

Samedi matin, nous sommes là, Bouba et moi, à prendre notre petit déjeuner lorsqu’il m’explique qu’il y aura les funérailles de son grand oncle à Lara, son village natal, et que les Guinarous seront là. Son grand-oncle veillait au maintien de la tradition…

Je le sermonne, pourquoi ne pas l’avoir dit avant. Il se défend : «ne vous l’ai-je pas dit non ?». Il sourit, il rit alors que je riposte. Il est tôt, les Guinarous se pointeront dans l’après-midi seulement. Je lui dis : «Nous avons le temps, on prend l’autobus et on part». Il dit que ça prend l’argent, à mon tour, je souris, je ris…Ne sait-il donc pas que je paie dans pareilles circonstances…

Tout dou-ce-ment et mine de rien, je lui propose de payer son billet.

Il dit :«Bon». J’adore ce mot qui débute ses phrases où il devra m’expliquer ou élaborer davantage, mais là…J’ai peur qu’il refuse.

Son «Bon» est suivi d’un silence, comme toujours.

Il reprend toujours la parole en regardant par terre et ses mains bougent, tout doucement, suivant le rythme de ses mots.
La cadence installée, il m’explique que…il doit d’abord voir sa belle-sœur, celle chez qui il demeure. Le stress redescend. Je crois que ce sera possible.

Avant, je m’assure que cette sortie lui plaira, je lui rappelle qu’il verra sa femme, son fils, sa famille et ses amis, mes arguments sont forts, très forts.

Il part alors vitement et vivement pour revenir 10 minutes plus tard et me dire que nous partons.
On se dépêche, on veut attraper le prochain autobus.

10h30, nous arrivons chez son père. Il me laisse seul avec cet homme, ce sage qui, par sa carrure et sa stature peut intimider. Nous causons, causons et causons. Que d’histoires. Nous reprenons là où nous nous étions laissés la dernière fois que nous nous sommes vus.

Tel que précisé dans mon dernier blogue, chez les Camerounais, la répétition du verbe d’action veut dire qu’il y a eu beaucoup d’intensité.

Et puis, arrive son frère, son père doit se rendre au marché pour vendre la farine de soja qu’il a préparé. Les revenus iront à l’organisme qu’il a mis sur pied en 1986 qui a pour objectif de venir en aide aux plus démunis en leur offrant le mil et les denrées nécessaires pour les soulager quelque peu de la famine.

Avec son frère, je cause, cause et cause. Pendant tout ce temps, Bouba est disparu. Je sais qu’il est parti voir sa femme Sylvie et son fils et qu’il reviendra avec eux.

Voilà sa femme Sylvie, bébé au dos. Tous deux contentes, nous nous embrassons et se serrons très fort. Nous causons, causons et causons.

Revoilà Bouba. Il a une moto. Il savait que nous en aurions besoin pour aller voir les Guinarous. Il l’utilisera aussi pour aller voir ses amis et le reste de sa famille. J’ai du plaisir à le regarder tellement il a l’air heureux.

Dans son village, tous le reconnaissent et l’interpellent pour le saluer. Je lui signifie que j’ai bien vu que les gens étaient tous contents de le voir et il en est très fier.

Malgré tout cela, il sait qu’il doit prendre soin moi et c’est pourquoi il est revenu. Les plans sont bien établis, je dois le suivre. Je dois surtout l’écouter.

Au cours du trajet en moto qui nous mènera vers les Guinarous, Bouba me donne des directives très claires, je dois rester loin loin loin et ne pas «filmer». Pour eux, filmer veut dire prendre des photos.

Il ajoute, le doigt levé : «je ne veux pas avoir de problèmes hein…».
Ici, les rôles sont inversés, il est le patron. Je le rassure avec des mots que je répète trois fois.

Il me dépose chez sa cousine. Je suis accueillie avec le bili-bili, cette bière de mil artisanale. Sa cousine demeure dans les huttes de terre. Elles sont placées en cercle et c’est dans l’espace extérieur qui donne sur les portes des trois huttes que nous nous trouvons. On sort la natte et le banc, on me fait choisir. Je choisis la natte et m’assois par terre. La conversation est difficile, les gens des villages ayant un certain âge ne parlent que le patois. On se sourit et ça suffit. J’aime le bol dans lequel on me sert le bili-bili, une calebasse.
La calebasse est le fruit du calebassier. Une fois vidé et séché, il peut servir de récipient.

On me donne la calebasse dans laquelle je bois tellement j’ai pu dire que c’était beau, beau et beau.

L’intensité se retrouve également dans la répétition des adjectifs qualificatifs.

Ne riez pas. Ce n’est rien de banal. On insiste en haussant le ton légèrement, on ajoute une expression faciale unique à chacun et si l’autre n’a pas compris alors tant pis. Vous verrez quand je reviendrai, vous devrez me rééduquer…Ou m’imiter…À suivre…

On me sert de l’eau, je refuse en expliquant avec des gestes. Ils comprennent rapidement. Ils savent que les blancs ont le ventre fragile.

Et puis, comme par magie, voilà Sylvie et la maman de Bouba qui nous rejoignent chez la cousine. Bouba avait encore disparu, mais cette fois, pour aller chercher ces dernières.

On parle des Guinarous. Les femmes sont apeurées à l’idée que je veuille les voir, mais en même temps, elles rient et me tendent la main et toujours cette poignée de main camerounaise. Elles me racontent que, dans la nuit précédente, ils étaient tout près, elles les ont entendus. C’est sérieux, les Guinarous font vraiment peur aux gens du village.

Après quelques temps, nous repartons à pied pour que je puisse être dans un endroit stratégique pour voir ces morts vivants…

Bouba me répète que je devrai me cacher. Me cacher, cacher et cacher.

Tout en marchant, un homme s’approche et m’offre de «filmer» pour 15 000 Fr. Je refuse, je n’ai pas besoin de photos. Plus tard, je n’obtiendrai que des félicitations, les membres de la famille de Bouba sont insultés, ils n’en reviennent pas.

Une fois arrivée à l’endroit choisi, il y a des gens de tout âge. On me pointe l’endroit où se trouvent les Guinarous. Nous nous asseyons, Sylvie et moi avec deux autres femmes sur la racine d’un arbre et nous palabrons, palabrons et palabrons. Tout près, il y a la cousine de Bouba qui vend le bili-bili. J’achète pour 200 fr mais c’est beaucoup trop. Je partage.

Après quelque temps, tout en riant, Sylvie se penche sur moi pour me traduire dans l’oreille ce qu’elle entend des villageois : «..Ils te trouvent courageuse d’être avec nous..», «..ils aiment ton sourire..», «..ils disent que c’est Bouba qui a apporté la blanche..». Nous rions et se serrons la main.

Chaque fois que je lève les yeux, je croise des regards, un, deux, trois ou quatre…Pour chacun d’un, un sourire et un geste de salutations très discret. Leur réponse est de même.

Je suis un peu gênée. Les plus âgés viennent me serrer la main en se penchant et souriant, ils disent «haham» ou quelque chose dans le genre. Il importe peu de bien vous écrire ce son qui s’accorde avec ce sourire et cette main tendue. Cette générosité et cette convivialité que je reçois me font tellement plaisir. Je suis accueillie dans leur village, dans leur quartier, au cœur de leur fête traditionnelle, tout ça est bon et beau.

J’achète des carrés de pistache, je partage et voici que les commentaires recommencent.
Encore une fois, S
ylvie traduit pour moi : «..Ils sont surpris que tu manges..», «..ils aiment ça que tu manges, ils sont contents, contents, contents..».

Sylvie se lève pour rejoindre une amie et voici que, comme partout dans le monde, quelques hommes saouls qui m’abordent pour me dire que je ne devrais pas être là, le Guinarou sera très en colère. Aussitôt, je suis prise en charge par trois femmes qui me diront de venir s’asseoir avec elles. Elles répondent à ces hommes et les menacent, le doigt en l’air, les sourcils froncés et leurs directives sont claires, je dois m’asseoir près d’elles et y rester, ces derniers ne doivent plus m’importuner. Plus encore, je ne dois surtout pas répondre à ces hommes, elles s’en chargeront.

Soudain, Sylvie qui m’avait laissé seule revient et m’attrape par le bras, je dois me sauver, les Guinarous sont là…Tous ces gens qui courent, courent et courent, la peur sur le visage…Presque incroyable, on m’amène dans une case, on me cache et on me dit de ne pas bouger…Quelques minutes plus tard, les Guinarous sont retournés, je peux sortir.

Et ça recommence encore, vite vite vite, dans la case.

Je vous le dis, aussi farfelu que ça puisse vous paraitre, les gens ont réellement peur. C’est sérieux. Voir cette mer de monde courir pour se sauver impressionne. On se bouscule pour rentrer dans les cases disponibles, on crie, on se bouscule et on se ressaisit que lorsqu’ils sont certains d’être en sécurité.

Dans les cases, il n’y a pas de problème, le Guinarou peut seulement retourner dans la case où il vivait avant de mourir.

Je ne suis pas terrorisée par les Guinarous mais par la peur que je lis dans les yeux et le visage des femmes plus âgées. Les plus jeunes en riront, mais pour les aînées, c’est une autre histoire. Elles ont probablement plus de récits que nous. Autrefois, le Guinarou pouvait tuer s’il attrapait un contrevenant. Peut-être ont-elles été témoins de la mort d’un frère, d’une sœur et que leur mémoire a été marquée à tout jamais. Qui sait ?

Pour ma part, le Guinarou, je l’ai vu même si je ne devais pas le voir. Je suis resté assez longtemps sans me cacher pour l’apercevoir. Noir et poilu, il tient sa chicotte et frappe. Il court vite, très vite même.

Une fois sortie de ma cachette, les femmes du village me gardent tout près d’elle. Une fois assise, le bili-bili m’est encore servi. «Il faut boire, il faut boire». Je bois.

Et puis, j’entends «Nassara», je me retourne et tout près de ma bouche, une cuillère avec de la nourriture. Je goûte, c’est très bon. On m’en offre encore. «..Il faut manger, il faut manger..». Je mange.

Le verbe boire et le verbe manger ont été écrit qu’une seule fois. Je ne veux pas me saouler et je ne veux pas ambitionner sur la nourriture si généreusement offerte.

J’apprendrai plus tard que j’ai mangé de la peau de bœuf. On brûle le poil, on gratte, on bout, on assaisonne et on mange. Je vous le dis, c’était bon, bon, bon.

Toujours assise, un homme s’approche de moi pour me dire qu’il a connu des blancs du Canada, il était fier de partager avec moi. Il se lève et me ramène une énorme calebasse remplie de bili-bili. «…il faut boire, il faut boire..»…Je bois et partage avec les autres femmes.

Je ne sais comment vous traduire ce que je vivais, là, entourée de gens bienveillants qui voulaient que je conserve le meilleur des souvenirs de mon après-midi avec eux.

Ces femmes aux sourires édentés, aux pieds avec une corne fendillée, voire même fendue ici et là, sur les talons, la plante du pied, le côté du gros orteil, enfin, du talon à la pointe des pieds, stigmates de leur vie passée à marcher pour l’eau, le bois et tous les travaux domestiques qui leur sont réservés.

Et ces mains qui servent avec cœur. Je revois encore cette femme couper la peau de bœuf, puisant dans le bouillon pour attraper, les gros morceaux et en faire des petits pour ensuite m’offrir avec un sourire fort généreux maintenu par le plaisir qu’elle éprouvait à me voir goûter, manger, apprécier et me lever pour lui tendre la main tout en la remerciant et tentant de lui faire comprendre avec des gestes que c’était bon, très bon.

Je me remémore toujours leurs yeux plissés par le soleil, leur volonté de me faire comprendre, tendant leurs mains avec le plat de nourriture, assises sur le sable alors que je dois absolument m’asseoir sur leur natte…

Difficile. Elles n’ont presque rien, mais réussissent quand même à partager, à offrir, à donner, à sourire et rire avec coeur. Je n’abuse de rien tout en sachant que je dois accepter leurs offrandes et «..qu’il faut manger, qu’il faut manger…».

Ces femmes, ces mamans, ces grand-mamans représentent beaucoup dans cette société en développement. Certes, il y a beaucoup de travail à faire et la vie demeure incertaine.

Une observation qui se passe de commentaire…Les femmes vendent le bili-bili et la nourriture qu’elles ont préparés, bébé au dos et sourire aux lèvres alors que les hommes se saoulent.

Bon.

Silence.

Je reprends la parole en regardant par terre, mes mains bougent, tout doucement, suivant le rythme de mes mots.

La cadence installée, je vous explique que…Le Cameroun, c’est tout ça. Des individus qui, conscients de leur sort, se retrouvent dans ce qui leur permet de continuer…Le partage, la famille, la grande famille, la fête et cet accueil qui leur est propre.

Je remercie Bouba et sa famille. Je me suis chaleureusement délectée de tout ce qui a composé cet après-midi mémorable…

2 commentaires:

  1. Oh, Alyne! Tu me donnes envie d'être là-bas avec toi!
    C'est incroyable! Tu vis ÇA! Tu es LÀ!
    Je ne peux m'empêcher de comparer ce que tu vis en ce moment avec la banalité de ce qui se passe ici ces temps-ci: pluie glaciale mêlée de neige en ce 20 avril; campagne électorale désolante à l'issue de laquelle les Conservateurs seront bêtement réélus; gastro virulente à laquelle tous essaient d'échapper, bref la grisaille dans toutes ses déclinaisons possibles.
    Continue de profiter de tout comme tu le fais si bien!
    Je t'embrasse,
    Catherine xxx

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  2. Je relis mon commentaire et je réalise avec un peu de gêne qu'il peut paraître complètement inconscient de notre confort et de la rudesse de la vie là-bas...
    Je voulais surtout souligner le caractère banal de mon quotidien en ce moment, en comparaison à tes aventures!
    J'imagine que tu avais compris, mais quand même, j'avais besoin de préciser...
    xxx

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