jeudi 30 juin 2011

Semaine 25 : Mes aurevoirs...Hum...

Dire au revoir aux gens qu’on aime n’est jamais facile, surtout lorsque les possibilités de se revoir sont presque nulles.
J’ai dit à Bouba, mon gardien de nuit, que j’avais un rêve, lui faire visiter le Québec.

Je lui ai bien expliqué que ce ne serait pas demain la veille, il s’agit plutôt d’un rêve lointain que je me permettrai de nourrir jusqu’au jour de sa réalisation.

A-t-il toutefois bien saisi…En mode survie, je vous assure, les lendemains lointains n’existent pas…Je vous l’ai mentionné à quelques reprises antérieurement.
L’Afrique est dans mes rêves depuis longtemps. J’ai eu ce que je voulais, mais avant, j’en ai rêvé.

J’ai raconté mon histoire à Bouba pour lui permettre de rêver avec moi et surtout, pour lui signifier que nous aussi, nous rêvons parfois longtemps longtemps longtemps. Certes, nos rêves sont différents et pour être honnête, je n’ai pas voulu en établir les différences, j’aurais fort probablement été gênée.

Les rêves sont parfois de véritables thérapies, ils nous éloignent momentanément de nos soucis, de nos tracas, de notre quotidien et procurent une accalmie bienfaisante. Revoyez-vous en train de rêver de…

On dit souvent : «C’est beau rêver»…

Il est vrai que «c’est beau rêver».

En ce moment, Bouba rêve du jour où il aura le montant de la tontine pour laquelle il contribue.

Il m’en parle souvent. J’ai la nette impression que le gain qu’il récupérera règlera tous ses problèmes.

Mais qu’est-ce qu’une tontine.

Chaque mois, Bouba est associé à un groupe de personnes qui investissent 5 000 fr dans une cagnotte qui leur est remise à tour de rôle.

Le montant total de la cagnotte est 55 000 Fr. Conséquemment, son tour viendra à l’intérieur des onze mois suivant le début de son adhésion.

Actuellement, il rêve que le tirage au sort le favorise.

Bien que conscient qu’il s’agit de son investissement, ici, faire des économies est difficile et la tontine répond à ce besoin.

Et pourquoi ne pas ouvrir un compte bancaire ? Trop dispendieux. Pour ouvrir le mien, j’ai dû investir 2 500 Fr et assurer que mon compte ne serait jamais en dessous de 20 000 Fr. Au total : 22 500 Fr. À la fermeture de mon compte, j’ai dû débourser 4 500 Fr.

Ici, le compte bancaire est inaccessible au simple paysan, agriculteur, villageois, petit marchand, veuve, vieillard, etc.

Inaccessible à la plèbe, à la populace, au peuple qui malgré tout, a trouvé une façon de faire basé sur la confiance des adhérents qui malgré les difficultés, trouveront mois après mois, l’argent de leur contribution.

Et les autres rêves de Bouba…Venir vivre au Canada, venir me rejoindre, sortir de son continent et accéder à autre chose.

Il me dit sans cesse qu’il peut tout faire : bûcher, cultiver, laver la vaisselle, faire la cuisine, etc. Je sais qu’il peut tout faire. Je l’ai vu.

Et ces « au revoir»…De convention ou sans émotion, douloureux, déchirants ou éprouvants, ils sont représentatifs de la relation existante entre les deux êtres qui se saluent.

Julienne et Hélène, deux femmes qui travaillent au CODASC, Julienne est celle qui a prénommé sa fille «Aline». Je lui ai dit que j’avais un fils qui s’appelait «Julien». Nous nous sommes souri.

Ce que je retiens de leur témoignage : «De toutes les blanches que nous avons connues, tu es celle qui a été le plus à l’aise avec nous, tu es «dégagée».

Dans les faits, je vous partage ce commentaire pour le mot utilisé : «dégagée».

Les explications sont inutiles, vous imagez le mot et savez que c’est parce que je parle beaucoup…Je parle à «presque» tout le monde sans me demander si ça leur va ou non.

Elles me complimentent. J’acquiesce parce qu’il est vrai qu’avec elles, j’étais «dégagée» mais j’ajoute aussi qu’elles ont été très très très gentilles avec moi.

J’ai toujours pensé qu’un rire vivement et vitement installé était signe de durée entre les individus.

Avec elles, n’eut été de la distance, nous aurions certes renouvelé le plaisir.
Je leur ai promis de porter le pagne du 8 mars en pensant à elles…Le 8 mars est le jour où je les ai rencontrés pour la première fois.

Deuxième au revoir : Coïranga, mon «petit roi», mon chauffeur de mototaxi. Dans les autres blogues, j’écrivais maladroitement «Corïanga». Quelqu’un m’a repris. Je ne pouvais croire que Coïranga se laissait appeler «Corïanga» sans me corriger.
Mon ami Abdoulaye vient me chercher et nous allons le trouver à l’hôpital. Il est malade depuis plus de deux semaines et les médecins l’ont «attaché» pour l’obliger au repos complet.

Je ne vous ai jamais parlé d’Abdoulaye, un jeune homme avec un cœur trop grand. Il m’a offert deux costumes traditionnels que je porterai avec fierté même auprès de vous…Vous les reconnaitrez…

Abdoulaye est le jeune fils d’un riche Camerounais. Il a à peine 20 ans et sa future femme a 14 ans. Ils se marieront dès que la jeune fille aura atteint l’âge requis, 16 ans je crois. Une gamine négociée dès son huitième anniversaire entre un oncle et son père. Nous n’avons jamais vraiment parlé de cette situation, il semblait trop convaincu et connaissait très bien ma position...À quoi bon…

Mais, revenons à cette visite où je trouve Coïranga à l’hôpital. Il est assis dehors sur une natte, son épouse et son fils à ses côtés, trois femmes un peu à l’écart et deux amis. Sa fillette ne veut pas venir le voir, elle a peur du soluté accroché au bras de son père et croit qu’on lui fera la même chose…Coïranga sourit en me racontant cette histoire.

Je lui prends la main. Il est amaigri. Il parle tout doucement. Il me présente ses trois marâtres, ces trois femmes légèrement à l’écart, les femmes de son père qui ont pris soin de lui lorsque sa maman est décédée.

Elles discutent, chuchotent, se touchent, se murmurent et sont, à ce moment précis, en parfaite harmonie.

Bien que la polygamie est appelé à disparaître pour bien des raisons, un des arguments le plus souvent entendus est que les relations entre les coépouses sont très compliquées et que ça coûte très cher. Considérant le coût de la vie, vaut mieux maintenant se limiter à une seule.

Ce jour-là, ces femmes, ces marâtres, ces mères, ces coépouses se rallient et forment une unité pour leur fils malade. Coïranga a trois mamans. Rassurant, fort rassurant.

De mes collègues de travail, un souper de départ. La rencontre sera courte et parsemée de rire et de sourire. Ils m’offriront un tissu peint de différentes scènes de la vie africaine. Tout simplement magnifique.

Samedi matin, le chauffeur de VSO vient me chercher au cours de la matinée, mais avant, Coïranga revient me saluer…Je suis tellement contente. Bien que toujours faible, il tenait à me revoir une dernière fois.

Et puis, mon gardien de nuit…Il m’a écrit un mot, il m’appelle maintenant «maman Alyne» et signe «ton fils africain».

J’ai déjà trois garçons, en voilà un quatrième. Même en les adoptant, ils sont au masculin.

Pour Bouba, je pleure. J’attends qu’il soit parti pour m’effondrer, mais avant son départ, je l’informe que notre culture demande plus qu’une simple poignée de main. Il me prend dans ses bras et me serre fort fort fort, comme mes fils savent si bien le faire.

Cette étreinte est bonne, car elle surmonte l’aspect culturel du donneur. La receveuse en est consciente et l’apprécie doublement, triplement, grandement.
Depuis ce jour, nous nous sommes parlé au téléphone à quelques reprises et il m’appelle maintenant «la mère» en riant.

Quitter Bouba m’est difficile. Je n’ajoute rien. Je rêve de le revoir en insistant sur l’importance de rêver…Qui sait…Inch Allah…

Bouba quitte Yagoua le même jour que moi. À l’annonce de mon départ, même si je lui ai assuré un salaire pour les prochains mois, il a décidé de quitter le village. Il ira rejoindre son père et sa mère qui demeurent à environ une heure et demie de route et cultivera les arachides et le mil.

Au moins, il mangera et, avec un peu de chance, il pourra vendre le produit de ses récoltes.

Parce que je pars, il repense sa vie.

Depuis l’annonce de mon départ, le nombre de fois où je l’ai vu fixer le sol est innombrable. Il aurait pu attendre l’autre volontaire, mais il me répète que ce ne sera plus jamais pareil.

Et mes salutations les plus difficiles sont avec les gens rencontrés au cours de mes marches matinales. J’ai aimé marcher au travers eux, j’ai aimé le contact avec eux, j’ai aimé partager leurs sourires, leurs rires, leurs poignées de main et parfois, leur misère.

Si mon projet a été quelque peu cahoteux, mon contact avec les gens a été merveilleux.

De ces moments les plus touchants…

Gayus et Jacqueline, frère et sœur qui demeurent chez leur grand-mère. Gayus a 14 ans. Quand il est venu me dire au revoir, il ne me regardait pas. Il me tournait le dos et s’appuyait sur la clôture. Il fixait le vide. Il était dans son plexus solaire et son chakra du bonheur était dérangé.

Il a pris du temps avant de se retourner. Lui qui était toujours souriant, lui qui me parlait sans arrêt, lui qui me voyait au loin et criait mon prénom…Je ne le reconnaissais pas. Pour lui, je suis une ressource, une pourvoyeuse ponctuelle qui le quitte.

Fini ces petits dons qui lui permettaient l’achat d’un nouveau chandail ou d’un simple plaisir…

Fini ces visites pour me dire merci et me montrer ce qu’il avait trouvé…
Le contact était bon. Je me souviendrai toujours du jour où il était fier de me montrer qu’il avait acheté une blouse à sa sœur, et ce, même si elle avait reçu le même montant que lui.

Un geste d’une grande bonté. Il aime sa sœur, ça se voit.

Grâce et Charité, de magnifiques jumelles. Des femmes Kirdis. Les plus belles d’entre tous.

En Amérique, elles seraient mannequins et paraderaient la perfection de leur corps. Grande, mince, des jambes à faire rêver, des hanches, une taille de guêpe, des visages d’ange, des sourires et des regards qui ne laissent indifférents.
Je vous ai raconté l’histoire de Charité dans mon blogue numéro 24, histoire 13. Lorsque nous nous quittons, elle pleure et me dit : «Vous nous manquerez beaucoup vous savez».

Ces histoires sont entrecoupées de salutations et d’au revoir plus timides. Les gens d’ici tiennent à vous saluer et viendront jusqu’à frapper à votre porte pour pouvoir le faire.

Samedi matin, je me rends voir la grand-tante d’une amie qui m’aime beaucoup.
Aveugle et dans l’impossibilité de marcher, elle demeure assise sur son matelas déposé par terre et se déplace de sa chambre à la cour en rampant sur le sable.
Personne ne peut l’aider, impossible de la lever, son poids excessif et ses jambes malades en sont la cause. Elle me remercie de ma visite. Mon amie traduit tout pour moi et me glisse un billet de 2 000 fr pour que je lui offre. Elle passera la journée à dire que «nassara» lui a donné 2000 fr. Je rembourserai cette amie et la remercierai d’avoir eu cette délicatesse.

Ce matin là, comme toujours, elle la regarde avec beaucoup de tendresse. Quand elle arrive près d’elle, elle se penche à son niveau et l’écoute en faisant des «hum-hum», la bouche fermée, tenant sa main entre ses mains. Elle l’écoute en posant de petites questions ici et là et me traduit ce qu’elle dit à voix très basse pour que sa grande tante continue de parler.

Ici et là, elle a un message pour moi. Et puis, elle dit que je dois la rejoindre sur son matelas. Je m’exécute. Elle a le haut du corps dénudé. Ses seins touchent le sol et s’appuient sur son ventre qui lui aussi atteint le sol. Parfois, elle prend ses seins avec ses mains et les déplace un tout petit peu.

Je lui flatte le dos. Sa peau est douce. Sa grande-tante est vieille. On ne sait pas son âge, mais elle est vieille.

Elle nous parle de ses voyages sur le continent africain. Sans enfant, dès son jeune âge, elle s’est enrôlée dans l’armée et a parcouru différents pays d’Afrique. Elle nomme les capitales une à une. Elle est heureuse, notre présence lui fait du bien.

Cette vieille tante a de la chance. De bonnes personnes veillent sur elle. Pour ce qui est des conditions dans lesquelles elle se trouve, elles sont ce qu’elles sont, représentantes de l’Afrique et de ses moyens. Aucun outil matériel pour lui faciliter la vie, mais des gens qui l’aiment énormément. Mon amie l’aime, elle raconte que c’est le pagne de cette vieille dame qui l’a accueillie lors de sa naissance. Elle lui en est reconnaissante. C’est dans son pagne qu’elle a été lovée pour la première fois.

Pour mon amie, cette vieille dame s’est un jour dépouillée de ses vêtements pour lui offrir un accueil décent. Je l’imagine, cuisses et jambes dénudées, tenant dans ses bras cette nouvelle venue et constatant sa nudité créée par son souci de couvrir une autre nudité, celle de mon amie, la fille de sa nièce, celle qui aujourd’hui lui rend grâce en l’aimant et en lui offrant tous les «hum-hum» qu’elle a besoin.

Attendrissant de les voir se toucher, se caresser, se parler.

De ces moments, mes réflexions les plus profondes. Je passe en revue mes mois de travail dans un centre pour personnes semi-autonomes.

En les regardant, j’échappe aussi quelques «hum-hum».

Maintenant, je dois tourner la page. Je retourne chez moi. Je retourne dans cette Amérique rêvée par les Africains. Je suis celle qui a de la chance. Je suis la blanche avec des rêves possibles.

Comment revenir sans trop souffrir…

Je reviens dans cette société de consommation effrénée à laquelle je contribuerai.
Ces expériences nous changent-ils vraiment ? Je ne sais guère. Je crois qu’une certaine ouverture est nécessaire avant de modifier tout comportement issu de notre culture, de notre éducation et j’ajoute, de notre confort si précieux.

Je suis une Nord américaine qui a grandi dans le froid, qui a une voiture, un condo, un fond de pension, une convention collective, des REER, un vélo, beaucoup de linge, un frigidaire et un garde-manger bien garnis, de bonnes chaussures, une patère garnie de foulards de différentes couleurs, etc.

J’ai aussi le câble, internet, un téléphone cellulaire, un ordinateur portable, je vais au restaurant de temps en temps, je me paie des vacances et malgré tout cela, je suis de la classe moyenne, celle appelée à disparaitre.

Changer nos valeurs, changer notre style de vie, changer nos visions, continuer de miser sur ses rêves tout en pensant à ceux qui ne mangent pas à leur faim…Ma gorge se noue, je suis comme mon amie, je murmure encore des «hum-hum» sans dire un mot…
J’étais déjà sensibilisée à bien des choses, je lui suis davantage aujourd’hui.
Vais-je devenir intolérante devant les abus…Peut-être et, si c’est le cas, vous en connaitrez la source et pardonnerez mes élans démesurés.
De ces «hum-hum», une vision…Que mes amis et amies africains deviennent des « citoyens du monde » à part entière.

Actuellement :

Devenir «citoyen du monde» en Amérique, une possibilité.

Devenir «citoyen du monde» en Afrique, une utopie.

Citoyen du monde selon Wikipédia :

Se nomment citoyens du monde certaines personnes estimant que les habitants de la Terre forment un peuple commun avec des droits et devoirs communs, en dehors des clivages nationaux, et placent l'intérêt de cet ensemble humain au-dessus des intérêts nationaux.

Le concept général de citoyen du monde trouve son origine dans le stoïcisme, dont les philosophes sont les premiers à s'identifier comme citoyens du monde. Il a des affinités avec l’existentialisme, courant philosophique qui met en avant la liberté individuelle, la responsabilité ainsi que la subjectivité, et considère chaque homme comme un être unique qui est maître de ses actes et de son destin.
Certains souhaitent que cette notion de citoyen du monde soit reconnue sur le plan institutionnel. Ils sont alors favorables au développement d'institutions mondiales, de type fédéral plus qu'intergouvernemental, à la différence des organisations internationales actuelles, où les citoyens pourraient être directement représentés.

Je murmure des «hum hum» sans dire un mot. Je suis dans mon plexus solaire.

N’ayez crainte, mon chakra du bonheur se porte bien parce que j’ai revu mes fils.

À tous, je souhaite une expérience similaire, un blogue exultant et des lecteurs comme vous.

Mille mercis à tous…J’ai aimé vous côtoyer semaine après semaine…Et plus encore…

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