samedi 18 juin 2011

SEMAINE 23 - Un voyage en autobus

Allez. Montez…

Plus vite que ça…

Vous vouliez me suivre alors suivez-moi.

Petit conseil, si vous avez le cœur fragile, prenez un antinauséeux.

Je vous ferai faire un voyage en autobus. C’est gratuit.

Pour votre premier voyage, nous montons dans un «gros» autobus et parcourons un des plus long trajet que j’ai fait jusqu’ici, Ngaoundéré-Maroua.

Le gros autobus a ses compartiments à bagages sous les sièges. Un espace fermé où vous laissez vos gros sacs ou tout autre colis trop encombrant. Imaginez, j’ai vu des paysans y faire monter deux chèvres. Inusité selon mon amie d’ici, elle n’avait jamais vu cela.

Je ne souhaitais qu’une seule chose, qu’ils réfléchissent davantage et qu’ils trouvent un autre moyen de transport pour ces dernières.

Et vos bagages à main, ils vous suivront à l’intérieur, un espace de rangement se trouve au-dessus des sièges. Pour vos sacs contenant des objets un peu plus précieux, vous ferez comme tout le monde et les placerez à vos pieds ou sur vos genoux. Vous ne les laisserez guère de peur de les perdre ou de les retrouver dans un état second.

Le petit autobus a un support sur le toit. Il arrive que vous deviez tendre votre sac au préposé aux bagages qui s’y trouve déjà. Il rangera et attachera le tout avec une bâche et des cordes. Pour ma part, puisque trop petite, j’ai toujours eu un bon Camerounais qui est venu tendre mes bagages pour moi. Même les plus grands sont à bout de bras alors…Vous m’imaginez ?

Le gros autobus est très long…Environ une trentaine de rangée sinon plus. De l’extérieur, elle demeure très invitante. Trois sièges d’un côté et deux de l’autre. Au milieu, un passage pas plus large que moi.

Les sièges : bien assise, j’en occupe toute la largeur, ce qui veut dire que trois personnes comme moi remplissent tout l’espace offert aux passagers et le couloir demeure libre.

Or, la réalité est tout autre. Ici, mon format est assez rare. Si vous êtes un homme, vous me doublez et si vous êtes une femme, y’a des chances que vous soyez également plus large si «Dieu vous a donné quelques enfants», pour emprunter leur expression.

Puisque la majorité des gens dépassent la largeur des sièges offerts, se trouve alors un débordement qui pousse chaque individu vers le couloir central. Résultat, si vous vous placez tout près du conducteur et que vous regardez vers l’arrière, vous ne verrez que des rangées de cinq personnes assises, et ce, jusqu’à l’arrière de l’autobus. Vous vous demanderez où se trouve le couloir, mais, ne vous en faites pas, dès que vous feignez un mouvement, le couloir s’ouvrira telle la caverne d’Alibaba.

Lors d’un trajet, une collègue était bien mal prise, utiliser son dossier lui était impossible, les deux hommes assis de chaque côté d’elle étaient de véritables costauds et tenez compte que l’homme qui étais assis dans le siège tout près du couloir occupait déjà une moitié du couloir.

Après avoir bien blagué, le tout ayant duré une bonne heure, je me suis sacrifiée et nous avons changé de place.

Selon mes collègues, j’étais bien «encadrée» et rassurez-vous, j’ai réussi tant bien que mal à utiliser le dossier puisqu’un peu plus mince que ma collègue.

Pour ce qui est des petits autobus, sur quatre sièges dont l’un d’entre eux a un demi-dossier qui se replie pour laisser passer les gens, cinq personnes devront s’asseoir. Une fois tous assis, il n’y aura plus de couloir.

Au dernier trajet, j’avais les jambes et les pieds engourdis. À l’avant-dernier trajet, mon épaule droite était sur l’épaule gauche de mon voisin de droite, et ce, en alternance, moi sur lui et lui sur moi, seulement nos épaules.

Pour dire vrai, je ne saisis pas cette logistique : cinq personnes sur quatre sièges.

Optimiser les déplacements en imposant autant d’inconfort à sa clientèle.

Tout cela me rappelle ma visite à l’Ile de Gorée. Ces négriers où on entassait les noirs dans les cales de bateau…

Ce temps n’est pas révolu, il persiste et dure dans les transports en commun et bien ailleurs. Un rappel de leur triste histoire…L’esclavage est terminé, mais bien des choses sont demeurées.

Le transport en commun du temps (négrier) et le transport en commun d’aujourd’hui (autobus) ont des points en commun : l’optimisation des déplacements à moindre coût pour une meilleure rentabilité monétaire.

Dans les faits, le plus étrange est de constater que maintenant, cette imposition vient des compagnies locales qui s’enrichissent aux dépens du peuple…De leur peuple…
Je ne me suis jamais habitué à voir ces gens s’entasser avec leurs bagages, leurs enfants ou leurs bébés sur leurs genoux, à demi adossés, le bras allongé derrière le voisin de droite ou de gauche, les bras appuyés et croisés sur le siège avant soutenant leur tête et tentant de trouver une position qui vaille pour le trajet à parcourir.

Tout cela me heurte. Non pas en raison des moments où j’ai dû le vivre, mais plutôt parce que j’étais à même de constater le traitement réservé à ces gens qui subissent déjà trop de misère. En ajouter davantage lors de leur déplacement me scandalise. Jamais je ne voudrais voir ma maman dans ces conditions et pourtant, je vois souvent des grand-mères effectuer des trajets fort longs.

Je revois cet homme, victime d’un accident cérébro-vasculaire, marchant très difficilement et devant se rendre à Yaoundé. Un trajet d’autobus de dix heures suivi d’un trajet en train de 14 heures…Je l’ai accompagné avec un confrère. Il était impossible pour lui de marcher seul. Par-dessus sa douleur, ces conditions de transport.

Quelques semaines plus tard, j’ai su qu’il était décédé sur la table d’opération.

Les entendre me dire : «Mais c'est l'Afrique» me rappelle le film «Diamants de sang», CCA : C'est ça l'Afrique ou TIA...This is Africa...

Continuons la route…

Maintenant que vous avez pris votre antinauséeux, l’autobus part. Ils sont tous des «Gilles ou Jacques Villeneuve» en devenir.

Nous sortons de la ville.

Je ne sais pas si l’autobus est muni d’une suspension, mais, nous bougeons, de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas, de bas en haut…À vomir, mais, je ne suis pas inquiète, vous avez tous pris un comprimé et si vous ne l’avez pas fait, c’est parce que vous êtes solides.

Nous voilà enfin sur l’autoroute, il faut éviter les trous…Coup de volant à la dernière seconde, rangement rapide à droite parce qu’un énorme camion nous fonce dessus, dépassement lorsque nécessaire, enfin…Regarder droit devant peut vous garantir la nausée.

Nos normes de sécurité nord-américaines sont mises en plan.

Nous sommes frôlés et nous frôlons.

Les coups de volant nous font valser, un balancement presque continu, les trous sont partout et les obstacles aussi : ânes, moutons, piétons, bicyclettes et plus encore.

Ici, nous appelons les ânes «Ministre du transport» tellement ils occupent le chemin. Ils sont là, ils ne bougent pas et les voitures doivent les contourner ou attendre qu’ils daignent se tasser à la manière africaine…Tout doucement, doucement, doucement.

Lorsque nous traversons les villages, le klaxon y va de plus belle, un «puttt» prolongé avec quelques «puttt» un peu plus court. Les ânes, les moutons, les piétons, les bicyclettes se tassent et nous passons.

Je vous le répète : nous sommes frôlés et nous frôlons…

Le conducteur arrête. Il doit mettre de l’essence. La station est invitante. Nous allons acheter ce qu’il faut pour continuer.

Les «puttt» se multiplient…

Le conducteur arrête. Il doit prier. Le village est invitant, nous allons acheter ce qu’il faut pour continuer.

Nouveau départ, nous sommes frôlés et nous frôlons…

Le conducteur arrête. Il doit pisser. Le village est invitant, cette fois-ci, nous allons se mettre à l’aise…

Chez nous, on va pisser, on va aux toilettes, on va au petit coin, etc.

Nous continuons.

Le conducteur arrête. Nous sommes à une station d’arrêt d’un des villages où certaines personnes doivent descendre. Le village est bruyant et vivant, encore quelques achats.

Par moment, mes ongles s’enfoncent dans le dossier du siège avant, mes fesses se serrent très fort, je prie ou, carrément, j’arrive à dormir, oubliant tout ce qui se passe devant moi.

Maintenant, imaginez…C’est important si vous voulez vraiment me suivre.
Votre voyage est de 10 heures…À vos pieds, votre ordinateur que vous ne voulez pas abimer…Vous la replacez sans arrêt parce qu’elle écrase et engourdit vos jambes et vos pieds.

Vous ne pouvez la placer ailleurs… Votre voisin de droite exerce une pression sur votre épaule, le sommeil le prend et il s’endort en penchant de votre côté. Il pèse. Vous endurez. C’est votre ami et vous l’aimez bien. Les Africains dorment partout dans toutes les positions. Assez impressionnant.

Imaginez maintenant que les sueurs de tous se mélangent et que vous devez continuer de respirer. Le thermomètre est à 35 degrés, il n’y a pas d’air conditionné et le soleil plombe de votre côté.

Un homme et une femme se chicanent pour le même siège. Le ton monte. L’homme dit qu’il va la frapper. Elle l’invite à le faire. Il dit qu’il s’assoira sur elle et s’exécute. Elle crie. Nous sommes tous là, témoins muets de cette altercation qui ne cesse.

La femme ne bougera pas et l’homme n’aura pas le choix d’abdiquer, il occupera le siège tout près d’elle. De temps à autre, elle le menace parce qu’il s’appuie contre elle. Il lui répond du tac au tac.

Au cours du long voyage, les cris ont diminué et nous les avons entendus se parler, voire même se courtiser. Après cinq heures de route, l’homme dormait sur l’épaule de la femme. Lors d’un arrêt, un des passagers a demandé à l’homme de changer de place avec lui…Elle a crié «non»…Il a dit «Elle ne veut plus que je parte». TOUS les passagers ont ri.

Une fois à destination, nous les avons vus échanger leur numéro de téléphone. L’homme est venu s’asseoir non loin de moi et je lui ai dit : «Mais c’est comment?». Mes collègues ont ri. Il m’a répondu : «C’est une femme qui cherche l’homme».

Elle a trouvé.

Je vous le dis, à certains moments, j’étais intimidée tellement le ton montait. Les gens d’ici savent bien rire, mais quand ils sont en colère…Ils ont les mots, le ton, le volume et le débit. Or, une fois la colère terminée, ils en riront, trainant dans leur rire, les autres passagers ou les gens qui sont avec eux.
Je quitte bientôt. J’ai choisi de prendre l’avion.

Je vous remercie d’être monté à bord de Danai, Amour Mezam ou Vatican…Les trois compagnies qui m’ont permis de vous décrire ce blogue sur le transport en commun et sur les conditions imposées aux voyageurs.

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