Je me proposais bien de m’y rendre, mais je ne connaissais ni les circonstances ni l’occasion qui motiveraient mon déplacement vers ce lieu sacré qu’est l’église.
L’appel d’une amie a suffi.
-Bonjour Alyne, c’est Julienne.  Demain, ma grande fille qui est ton homonyme sera baptisée, tu y seras?
Le lendemain, le 2 juin, nous étions le jour de l’ascension. 
Le lendemain, je me rendais à l’église. 
Une «Aline» africaine.  Une «Aline» de couleur noire. Une «Aline», point. 
Une «Aline» en pleine croissance.  Une «Aline» sera baptisée, ici même à Yagoua. 
Nous sommes si rares au Québec. Trouver une homonyme si jeune à des kilomètres de mon domicile me fait chaud au cœur. 
Bouba (mon gardien de nuit) et sa femme me disent sans cesse que si Dieu leur donne une fille, elle portera le nom de «Aline Laflamme».  Vous y pensez, ils incluent également mon nom de famille.  Je l’ai fait répéter deux fois plutôt qu’une et il a répondu «oui, elle s’appellera comme ça : Aline Laflamme».  
Je l’ai menacé de le surveiller de très très très près. Je le ferai.  Je lui ai offert un téléphone pour être certaine de pouvoir le rejoindre en tout temps.  
Vous savez, de tout cœur, je leur souhaite une fille, une «Aline Laflamme» qui les accompagnera tout au long de leur vie faisant en sorte qu’ils ne pourront m’oublier.  
Confidence, je crois qu’ils ne m’oublieront pas, tout comme moi, je ne les oublierai jamais. 
Ascension : Montée au ciel du Christ ressuscité. Fête chrétienne qui célèbre cet événement le quarantième jour après Pâques, soit le jeudi de la sixième semaine après Pâques.
Ici, au jour de l’ascension, on baptise et on confirme les fidèles. Ils sont de tout âge.  Ici, l’église ne baptise pas les enfants dont les parents ne se sont pas mariés devant l’église.  Puisque beaucoup de gens se marient à la mairie pour ensuite se marier devant l’église, et ce, par manque d’argent, beaucoup d’enfants sont baptisés tardivement.  
Ce qui était le cas de cette «Aline» qui a maintenant 7 ans.
La cérémonie a duré trois heures et demie.  Nous étions à l’église St-Paul. Pas de banc, pas de chaise, un amphithéâtre où chaque gradin ou palier permet à l’auditoire de s’asseoir.  
Mais avant, les différences.
Nous sommes entassés dans un four.  La chaleur ambiante nous cuit littéralement.  Les Africains ont toujours un mouchoir pour essuyer leur sueur et pour cause, je n’ai jamais vu autant d’eau ruisseler dans la figure des gens.  
Toujours dans cette église, la première chose qui me frappe est l’odeur.  Je respire par la bouche, mais après un certain temps, je m’habitue et j’arrive à respirer par le nez. 
L’odeur de notre sueur se mélange à celle des autres. Moi aussi je pue. 
Dans ma tête, je me demande si chaque messe à sa propre odeur, son propre parfum, sa propre fragrance. 
En ce jeudi, les gens sont endimanchés, les femmes portent leur plus beau pagne et les hommes ont enfilé leur plus belle chemise. Ils sont beaux.  Ils sont fiers.  Ils sont de circonstances. 
Les épitres sont lues par des adultes, et ce, dans quatre langues différentes : le français, le massa, le toupouri et le moussey. Je ne vois la différence, je dois demander à un ami de m’éclairer. 
Une chorale accompagnée de flûtes traditionnelles et de tam-tam prend la relève après chaque lecture, le rythme est bon, les gens se lèvent et dansent tout en respectant l’espace qu’ils occupent. Les coudes pliés à 90 degrés, les poings fermés, les bras se balancent de l’extérieur vers l’intérieur.
La jeune fille assise à ma droite tente de m’enseigner, mais elle n’est jamais satisfaite.  Je lui dis que j’abandonne.  
Et puis, elle prend mes cheveux et me dit que je dois les peigner.  Je lui dis que je l’ai fait, mais que le vent a tout détruit.  Elle me répète que je devrais quand même les peigner.
Pour un moment, j’ai douté de l’état de mes cheveux.
Les chants continuent. On se balance en conservant la cadence. La salle bondée de fidèles est en mouvement continu, et ce, tout au long des champs africains chantés dans différents patois.
C’est beau.  Je prie en Afrique.  Je prie pour tout ce que j’ai vu jusqu’ici. 
Je prie pour les rejoindre, je prie pour être avec eux, je prie parce que je crois en leur prière.  Je prie parce qu’ils ont l’air bien.  Je prie parce qu’en ces lieux, je crois qu’ils oublient leur pauvreté et leur misère. 
Malgré mon acte d’apostasie, mon renoncement à ma foi chrétienne, je prie et j’espère que Dieu, s’il existe, entendra mes prières. Elles sont sincères. 
Telle la brebis égarée, je reviens auprès du Christ. 
Bon, j’y vais un peu fort, mais…C’est la phrase qui me vient à l’esprit…
Sachez que, ceci ne sera que le temps d’un moment, le temps d’un instant, le temps d’une prière, le temps d’être «solidaire» parce que les Africains sont «solidaires».
Je veux partager cette solidarité, ce qui n’a d’égal.  Je ne cesse d’être impressionnée.  Tous les gens, j’ai bien dit «tous les gens» avec qui je travaille hébergent un neveu, une nièce, un cousin, une cousine pour un temps indéterminé.  «C’est comme ça» me disent-ils lorsque j’honore leur geste. 
 
Un ami me disait que la famille est au-delà de tout et que ce qu’il fait aujourd’hui pour deux jeunes cousins venus étudier à Yagoua sera peut-être un jour remis à son fils ou sa fille…«On ne connait pas l’avenir» me dit-il. 
Pour ces raisons qui me touchent, je veux être en union avec eux.  
Je me joins à leurs prières. 
Vous ai-je dit qu’ici, le bénédicité prend tout son sens ? Je n’ai jamais tant remercié le ciel de pouvoir manger. 
Et lorsque je suis avec eux, si j’oublie le bénédicité, je me sens un peu mal à l’aise.  
Dans les faits, nous devrions tous reconnaître la chance que nous avons de pouvoir manger, nous devrions remercier le ciel ou celui que vous voulez.  
Jusqu’ici, je mange trois fois par jour et je n’ai jamais souffert de la faim. 
Ici, j’ai de la chance.  Dans mon pays natal, je suis dans les normes bien que je reconnaisse que la faim existe également dans certains quartiers défavorisés.
La différence : ici, elle est omniprésente.  
Je continue.
À ma gauche, celle qui m’accompagne.  La fille de mon amie avec sa petite sœur de moins de deux ans.  La petite veut bouger et parler, elle est couchée sur les cuisses de sa grande sœur, tête sur ses genoux, face tournée vers le ciel.  Elle observe sa deuxième maman. 
La grande sœur reste calme, avec son index, elle lui montre l’immense crucifix derrière l’autel, approche sa main au dessus de ses yeux et ferme ses 4 doigts sur son pouce à plusieurs reprises et recommence le stratagème à deux ou trois reprises.  
Tout au long de ces mouvements effectués lentement et doucement, la grande sœur regarde la petite sœur. 
La petite étudie chaque geste, chaque mouvement effectué est observé.
Croyez- le ou non, cette petite est demeurée muette et tranquille tout au long de la cérémonie religieuse.  
Les enfants africains sont calmes.  Je crois que c’est attribuable au temps passé au dos de leur maman, de leur petite ou de leur grande sœur.  
Leurs premières années de vie sont à dos de femme, mère, grand-mère, sœur, tante, etc. 
Ils se promènent de bras en bras au grand bonheur de tous. Frères, sœurs, grand-père, grand-mère, cousins, cousines, etc. 
Bon, mes fils, j’ai fait la même chose.  Je vous ai porté, mais peut-être un peu moins. 
Au cours de l’homélie, j’ai gardé la petite dans mes bras.  Elle me voit souvent et pour cette raison, elle n’a pas peur de la peau blanche. 
Elle a été très très très sage. Quand elle me voit elle dit : A-line. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a un temps d’arrêt entre le «A» et le «line».
Des sculptures, des peintures, des statuts, des richesses ou autres : Rien de tout cela.  L’Église est en ciment.  Un autel, deux chandelles, quelques ventilateurs, un immense crucifix en bois, des rideaux offerts par un fidèle de la place et qui est remercié par le curé avant même que la messe débute et…Des gens qui croient et qui prient. 
Ici, je vous dirais que les chrétiens sont ceux qui s’en sortent le mieux.
  
Contrairement aux musulmans, ils «fréquentent» comme ils le disent si bien. 
 
Ils «fréquentent» : l’école, le lycée, l’université, l’école technique, etc.
 
Dans l’un des projets présentés par mon partenaire nous pouvons lire que les principales religions pratiquées dans le diocèse où nous sommes sont les religions traditionnelles, le christianisme et l’islam.
Ici, je découvre que le christianisme est la religion qui a permis la plus grande évolution, elle est associée à l’éducation. Il y a des écoles chrétiennes partout. 
Je suis dans un village de l’Extrême Nord.  Mon analyse porte sur la documentation lue au cours des six derniers mois et sur la réalité qui m’entoure.  
  
Ici, les chrétiens que je côtoie ont des diplômes. Très souvent, dans leur histoire de scolarisation se trouve un prêtre, un missionnaire ou une sœur qui a contribué ou simplement encouragé.   
Le discours est unanime, les chrétiens vont à l’école alors que les musulmans éduquent leurs enfants à bien gérer le «petit commerce». Une réalité décrite par les gens d’ici.  
Pendant que les enfants des musulmans gardent les bœufs ou vendent les beignets, les enfants des chrétiens sont à l’école. 
Un sociologue d’ici me disait que certains musulmans associent l’école au christianisme. Ils choisiront l’école coranique à toute autre forme d’éducation. 
Simple anecdote, un homme d’ici qui a adhéré au christianisme dans son jeune âge me racontait que son père animiste l’avait poursuivi avec un arc et des flèches pour ne pas qu’il se rende à l’église.  
Vous y pensez…Poursuivre son propre fils avec un arc et des flèches. J’en ai frissonné…Et il racontait le tout en riant.  
Il a «fréquenté» et occupe aujourd’hui un poste fort enviable. 
Assurément, si mes conditions de vie étaient directement liées à mon choix de religion, égoïstement, je choisirais celle qui m’offre le plus.  
En mode survie, je vendrais mon âme aux représentants du Dieu qui m’offrirait le plus.  La vente aux enchères serait permise.   
Ici, plusieurs sont en mode survie. Ici, on prie.  
Et nous, ne prions-nous pas davantage dans nos misères et nos tourments ?
Un vieil homme d’ici me disait que lors de l’évangélisation, certains fidèles adhéraient au christianisme un jour pour adhérer à l’islam le jour suivant.  C’était la chasse aux fidèles.
Ici même à Yagoua, un pasteur et sa femme furent assassinés à la fin des années 70.  L’histoire veut qu’ils aient été une menace réelle pour l’Islam et qu’ils en aient payés de leur propre vie. 
Le récit est atroce. Les tensions étaient grandes entre les concitoyens. Le fils du couple a dû intervenir. Il a demandé un appel au calme et a mentionné qu’il avait lui-même pardonné aux assassins.  L’appel au calme a été reçu. Le village se serait calmé. 
Dans un petit village comme Yagoua, cette histoire survivra au temps. 
Et cette foi…Ma mère me disait que ma grand-mère a fait bien des neuvaines dans sa vie…J’ai pensé à elle lorsque j’étais à l’église. 
Nos aïeux avaient la foi.  Mes aïeux ont prié plus que moi. 
Tout comme un ami du Québec qui a passé quatre longues années au Cameroun, je crois que la solution demeure l’éducation. 
Mais, cette éducation a un prix. Je suis toujours touchée par les efforts que font les gens de la brousse pour envoyer leurs enfants à l’école.  Si vous saviez ce qu’ils leur en coûtent.  
Proportion toute gardée, certains investissent leur salaire mensuel pour l’inscription annuelle de deux enfants seulement. 
Imaginez que vous deviez consacrer l’équivalent de votre salaire mensuel familial à l’inscription de deux de vos enfants à l’école publique ?
Malgré tout cela, ne concluez pas que la misère ne se retrouve pas chez les chrétiens, au contraire, le taux de pauvreté dans cette région du Cameroun est le plus élevé au pays. Il est à 49 %. 
Malgré leurs prières, les miracles sont rares. La pauvreté ne s’enraye pas aussi facilement. Bien que nous puissions faire la différence entre la pauvreté et la misère, j’avance que trop souvent, la pauvreté engendre la misère.
Et pour ne pas que vous pensiez qu’il n’y a pas vent de changement chez les musulmans, l’un d’entre eux me disait qu’il ne voulait pas avoir plus de deux enfants, que sa fille irait à l’école chrétienne parce que l’enseignement y est meilleur et qu’elle devrait terminer l’école avant de penser se marier. 
 
Et en attendant, ici, je continue d’entendre : 
S’il plait à Dieu…Si Dieu le veut…Dieu en a voulu ainsi…
Dieu a donné «x» enfants…Dieu a repris un de mes enfants…
Dieu est venu le chercher… Dieu l’a ramené auprès de lui…
Je prie Dieu pour…Dieu a donné ceci ou cela…Dieu seul le sait…
Dieu tout puissant…Dieu est grand…Dieu est bon…
Dieu…
L’intervention divine explique tout.
Et moi, parfois, j’aimerais les entendre expliquer autrement…
Résilience ou ignorance…Je choisis résilience…Parce qu’ils savent…
J’admire leur courage. Je les admire, tout simplement.  
Je leur souhaite la résurrection de Thomas Sankara…Le Che Guevara africain…
Puisse Dieu leur en offrir encore quelques-uns comme lui… 
Pour vous, j’ai «wikipédié» Thomas Sankara : 
Thomas Sankara est un homme politique anti-impérialiste, panafricaniste et tiers-mondiste burkinabé. Il est né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta et mort assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou au Burkina Faso.
Il incarna et dirigea la révolution burkinabé du 4 août 1983 jusqu'à son assassinat lors d'un coup d'État qui amena au pouvoir Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987. Il a notamment fait changer le nom de la Haute-Volta, issu de la colonisation, en un nom issu de la tradition africaine le Burkina Faso, le pays des hommes intègres et a conduit une politique d'affranchissement du peuple burkinabé. Son gouvernement entreprit des réformes majeures pour combattre la corruption et améliorer l'éducation, l'agriculture et le statut des femmes. Son programme révolutionnaire se heurta à une forte opposition du pouvoir traditionnel qu'il marginalisait ainsi que d'une classe moyenne peu nombreuse mais relativement puissante.
L'héritage politique et « identitaire » de Thomas Sankara — tout comme ceux de Patrice Lumumba, Amílcar Cabral ou Kwame Nkrumah — est considérable en Afrique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire