jeudi 30 juin 2011

Semaine 25 : Mes aurevoirs...Hum...

Dire au revoir aux gens qu’on aime n’est jamais facile, surtout lorsque les possibilités de se revoir sont presque nulles.
J’ai dit à Bouba, mon gardien de nuit, que j’avais un rêve, lui faire visiter le Québec.

Je lui ai bien expliqué que ce ne serait pas demain la veille, il s’agit plutôt d’un rêve lointain que je me permettrai de nourrir jusqu’au jour de sa réalisation.

A-t-il toutefois bien saisi…En mode survie, je vous assure, les lendemains lointains n’existent pas…Je vous l’ai mentionné à quelques reprises antérieurement.
L’Afrique est dans mes rêves depuis longtemps. J’ai eu ce que je voulais, mais avant, j’en ai rêvé.

J’ai raconté mon histoire à Bouba pour lui permettre de rêver avec moi et surtout, pour lui signifier que nous aussi, nous rêvons parfois longtemps longtemps longtemps. Certes, nos rêves sont différents et pour être honnête, je n’ai pas voulu en établir les différences, j’aurais fort probablement été gênée.

Les rêves sont parfois de véritables thérapies, ils nous éloignent momentanément de nos soucis, de nos tracas, de notre quotidien et procurent une accalmie bienfaisante. Revoyez-vous en train de rêver de…

On dit souvent : «C’est beau rêver»…

Il est vrai que «c’est beau rêver».

En ce moment, Bouba rêve du jour où il aura le montant de la tontine pour laquelle il contribue.

Il m’en parle souvent. J’ai la nette impression que le gain qu’il récupérera règlera tous ses problèmes.

Mais qu’est-ce qu’une tontine.

Chaque mois, Bouba est associé à un groupe de personnes qui investissent 5 000 fr dans une cagnotte qui leur est remise à tour de rôle.

Le montant total de la cagnotte est 55 000 Fr. Conséquemment, son tour viendra à l’intérieur des onze mois suivant le début de son adhésion.

Actuellement, il rêve que le tirage au sort le favorise.

Bien que conscient qu’il s’agit de son investissement, ici, faire des économies est difficile et la tontine répond à ce besoin.

Et pourquoi ne pas ouvrir un compte bancaire ? Trop dispendieux. Pour ouvrir le mien, j’ai dû investir 2 500 Fr et assurer que mon compte ne serait jamais en dessous de 20 000 Fr. Au total : 22 500 Fr. À la fermeture de mon compte, j’ai dû débourser 4 500 Fr.

Ici, le compte bancaire est inaccessible au simple paysan, agriculteur, villageois, petit marchand, veuve, vieillard, etc.

Inaccessible à la plèbe, à la populace, au peuple qui malgré tout, a trouvé une façon de faire basé sur la confiance des adhérents qui malgré les difficultés, trouveront mois après mois, l’argent de leur contribution.

Et les autres rêves de Bouba…Venir vivre au Canada, venir me rejoindre, sortir de son continent et accéder à autre chose.

Il me dit sans cesse qu’il peut tout faire : bûcher, cultiver, laver la vaisselle, faire la cuisine, etc. Je sais qu’il peut tout faire. Je l’ai vu.

Et ces « au revoir»…De convention ou sans émotion, douloureux, déchirants ou éprouvants, ils sont représentatifs de la relation existante entre les deux êtres qui se saluent.

Julienne et Hélène, deux femmes qui travaillent au CODASC, Julienne est celle qui a prénommé sa fille «Aline». Je lui ai dit que j’avais un fils qui s’appelait «Julien». Nous nous sommes souri.

Ce que je retiens de leur témoignage : «De toutes les blanches que nous avons connues, tu es celle qui a été le plus à l’aise avec nous, tu es «dégagée».

Dans les faits, je vous partage ce commentaire pour le mot utilisé : «dégagée».

Les explications sont inutiles, vous imagez le mot et savez que c’est parce que je parle beaucoup…Je parle à «presque» tout le monde sans me demander si ça leur va ou non.

Elles me complimentent. J’acquiesce parce qu’il est vrai qu’avec elles, j’étais «dégagée» mais j’ajoute aussi qu’elles ont été très très très gentilles avec moi.

J’ai toujours pensé qu’un rire vivement et vitement installé était signe de durée entre les individus.

Avec elles, n’eut été de la distance, nous aurions certes renouvelé le plaisir.
Je leur ai promis de porter le pagne du 8 mars en pensant à elles…Le 8 mars est le jour où je les ai rencontrés pour la première fois.

Deuxième au revoir : Coïranga, mon «petit roi», mon chauffeur de mototaxi. Dans les autres blogues, j’écrivais maladroitement «Corïanga». Quelqu’un m’a repris. Je ne pouvais croire que Coïranga se laissait appeler «Corïanga» sans me corriger.
Mon ami Abdoulaye vient me chercher et nous allons le trouver à l’hôpital. Il est malade depuis plus de deux semaines et les médecins l’ont «attaché» pour l’obliger au repos complet.

Je ne vous ai jamais parlé d’Abdoulaye, un jeune homme avec un cœur trop grand. Il m’a offert deux costumes traditionnels que je porterai avec fierté même auprès de vous…Vous les reconnaitrez…

Abdoulaye est le jeune fils d’un riche Camerounais. Il a à peine 20 ans et sa future femme a 14 ans. Ils se marieront dès que la jeune fille aura atteint l’âge requis, 16 ans je crois. Une gamine négociée dès son huitième anniversaire entre un oncle et son père. Nous n’avons jamais vraiment parlé de cette situation, il semblait trop convaincu et connaissait très bien ma position...À quoi bon…

Mais, revenons à cette visite où je trouve Coïranga à l’hôpital. Il est assis dehors sur une natte, son épouse et son fils à ses côtés, trois femmes un peu à l’écart et deux amis. Sa fillette ne veut pas venir le voir, elle a peur du soluté accroché au bras de son père et croit qu’on lui fera la même chose…Coïranga sourit en me racontant cette histoire.

Je lui prends la main. Il est amaigri. Il parle tout doucement. Il me présente ses trois marâtres, ces trois femmes légèrement à l’écart, les femmes de son père qui ont pris soin de lui lorsque sa maman est décédée.

Elles discutent, chuchotent, se touchent, se murmurent et sont, à ce moment précis, en parfaite harmonie.

Bien que la polygamie est appelé à disparaître pour bien des raisons, un des arguments le plus souvent entendus est que les relations entre les coépouses sont très compliquées et que ça coûte très cher. Considérant le coût de la vie, vaut mieux maintenant se limiter à une seule.

Ce jour-là, ces femmes, ces marâtres, ces mères, ces coépouses se rallient et forment une unité pour leur fils malade. Coïranga a trois mamans. Rassurant, fort rassurant.

De mes collègues de travail, un souper de départ. La rencontre sera courte et parsemée de rire et de sourire. Ils m’offriront un tissu peint de différentes scènes de la vie africaine. Tout simplement magnifique.

Samedi matin, le chauffeur de VSO vient me chercher au cours de la matinée, mais avant, Coïranga revient me saluer…Je suis tellement contente. Bien que toujours faible, il tenait à me revoir une dernière fois.

Et puis, mon gardien de nuit…Il m’a écrit un mot, il m’appelle maintenant «maman Alyne» et signe «ton fils africain».

J’ai déjà trois garçons, en voilà un quatrième. Même en les adoptant, ils sont au masculin.

Pour Bouba, je pleure. J’attends qu’il soit parti pour m’effondrer, mais avant son départ, je l’informe que notre culture demande plus qu’une simple poignée de main. Il me prend dans ses bras et me serre fort fort fort, comme mes fils savent si bien le faire.

Cette étreinte est bonne, car elle surmonte l’aspect culturel du donneur. La receveuse en est consciente et l’apprécie doublement, triplement, grandement.
Depuis ce jour, nous nous sommes parlé au téléphone à quelques reprises et il m’appelle maintenant «la mère» en riant.

Quitter Bouba m’est difficile. Je n’ajoute rien. Je rêve de le revoir en insistant sur l’importance de rêver…Qui sait…Inch Allah…

Bouba quitte Yagoua le même jour que moi. À l’annonce de mon départ, même si je lui ai assuré un salaire pour les prochains mois, il a décidé de quitter le village. Il ira rejoindre son père et sa mère qui demeurent à environ une heure et demie de route et cultivera les arachides et le mil.

Au moins, il mangera et, avec un peu de chance, il pourra vendre le produit de ses récoltes.

Parce que je pars, il repense sa vie.

Depuis l’annonce de mon départ, le nombre de fois où je l’ai vu fixer le sol est innombrable. Il aurait pu attendre l’autre volontaire, mais il me répète que ce ne sera plus jamais pareil.

Et mes salutations les plus difficiles sont avec les gens rencontrés au cours de mes marches matinales. J’ai aimé marcher au travers eux, j’ai aimé le contact avec eux, j’ai aimé partager leurs sourires, leurs rires, leurs poignées de main et parfois, leur misère.

Si mon projet a été quelque peu cahoteux, mon contact avec les gens a été merveilleux.

De ces moments les plus touchants…

Gayus et Jacqueline, frère et sœur qui demeurent chez leur grand-mère. Gayus a 14 ans. Quand il est venu me dire au revoir, il ne me regardait pas. Il me tournait le dos et s’appuyait sur la clôture. Il fixait le vide. Il était dans son plexus solaire et son chakra du bonheur était dérangé.

Il a pris du temps avant de se retourner. Lui qui était toujours souriant, lui qui me parlait sans arrêt, lui qui me voyait au loin et criait mon prénom…Je ne le reconnaissais pas. Pour lui, je suis une ressource, une pourvoyeuse ponctuelle qui le quitte.

Fini ces petits dons qui lui permettaient l’achat d’un nouveau chandail ou d’un simple plaisir…

Fini ces visites pour me dire merci et me montrer ce qu’il avait trouvé…
Le contact était bon. Je me souviendrai toujours du jour où il était fier de me montrer qu’il avait acheté une blouse à sa sœur, et ce, même si elle avait reçu le même montant que lui.

Un geste d’une grande bonté. Il aime sa sœur, ça se voit.

Grâce et Charité, de magnifiques jumelles. Des femmes Kirdis. Les plus belles d’entre tous.

En Amérique, elles seraient mannequins et paraderaient la perfection de leur corps. Grande, mince, des jambes à faire rêver, des hanches, une taille de guêpe, des visages d’ange, des sourires et des regards qui ne laissent indifférents.
Je vous ai raconté l’histoire de Charité dans mon blogue numéro 24, histoire 13. Lorsque nous nous quittons, elle pleure et me dit : «Vous nous manquerez beaucoup vous savez».

Ces histoires sont entrecoupées de salutations et d’au revoir plus timides. Les gens d’ici tiennent à vous saluer et viendront jusqu’à frapper à votre porte pour pouvoir le faire.

Samedi matin, je me rends voir la grand-tante d’une amie qui m’aime beaucoup.
Aveugle et dans l’impossibilité de marcher, elle demeure assise sur son matelas déposé par terre et se déplace de sa chambre à la cour en rampant sur le sable.
Personne ne peut l’aider, impossible de la lever, son poids excessif et ses jambes malades en sont la cause. Elle me remercie de ma visite. Mon amie traduit tout pour moi et me glisse un billet de 2 000 fr pour que je lui offre. Elle passera la journée à dire que «nassara» lui a donné 2000 fr. Je rembourserai cette amie et la remercierai d’avoir eu cette délicatesse.

Ce matin là, comme toujours, elle la regarde avec beaucoup de tendresse. Quand elle arrive près d’elle, elle se penche à son niveau et l’écoute en faisant des «hum-hum», la bouche fermée, tenant sa main entre ses mains. Elle l’écoute en posant de petites questions ici et là et me traduit ce qu’elle dit à voix très basse pour que sa grande tante continue de parler.

Ici et là, elle a un message pour moi. Et puis, elle dit que je dois la rejoindre sur son matelas. Je m’exécute. Elle a le haut du corps dénudé. Ses seins touchent le sol et s’appuient sur son ventre qui lui aussi atteint le sol. Parfois, elle prend ses seins avec ses mains et les déplace un tout petit peu.

Je lui flatte le dos. Sa peau est douce. Sa grande-tante est vieille. On ne sait pas son âge, mais elle est vieille.

Elle nous parle de ses voyages sur le continent africain. Sans enfant, dès son jeune âge, elle s’est enrôlée dans l’armée et a parcouru différents pays d’Afrique. Elle nomme les capitales une à une. Elle est heureuse, notre présence lui fait du bien.

Cette vieille tante a de la chance. De bonnes personnes veillent sur elle. Pour ce qui est des conditions dans lesquelles elle se trouve, elles sont ce qu’elles sont, représentantes de l’Afrique et de ses moyens. Aucun outil matériel pour lui faciliter la vie, mais des gens qui l’aiment énormément. Mon amie l’aime, elle raconte que c’est le pagne de cette vieille dame qui l’a accueillie lors de sa naissance. Elle lui en est reconnaissante. C’est dans son pagne qu’elle a été lovée pour la première fois.

Pour mon amie, cette vieille dame s’est un jour dépouillée de ses vêtements pour lui offrir un accueil décent. Je l’imagine, cuisses et jambes dénudées, tenant dans ses bras cette nouvelle venue et constatant sa nudité créée par son souci de couvrir une autre nudité, celle de mon amie, la fille de sa nièce, celle qui aujourd’hui lui rend grâce en l’aimant et en lui offrant tous les «hum-hum» qu’elle a besoin.

Attendrissant de les voir se toucher, se caresser, se parler.

De ces moments, mes réflexions les plus profondes. Je passe en revue mes mois de travail dans un centre pour personnes semi-autonomes.

En les regardant, j’échappe aussi quelques «hum-hum».

Maintenant, je dois tourner la page. Je retourne chez moi. Je retourne dans cette Amérique rêvée par les Africains. Je suis celle qui a de la chance. Je suis la blanche avec des rêves possibles.

Comment revenir sans trop souffrir…

Je reviens dans cette société de consommation effrénée à laquelle je contribuerai.
Ces expériences nous changent-ils vraiment ? Je ne sais guère. Je crois qu’une certaine ouverture est nécessaire avant de modifier tout comportement issu de notre culture, de notre éducation et j’ajoute, de notre confort si précieux.

Je suis une Nord américaine qui a grandi dans le froid, qui a une voiture, un condo, un fond de pension, une convention collective, des REER, un vélo, beaucoup de linge, un frigidaire et un garde-manger bien garnis, de bonnes chaussures, une patère garnie de foulards de différentes couleurs, etc.

J’ai aussi le câble, internet, un téléphone cellulaire, un ordinateur portable, je vais au restaurant de temps en temps, je me paie des vacances et malgré tout cela, je suis de la classe moyenne, celle appelée à disparaitre.

Changer nos valeurs, changer notre style de vie, changer nos visions, continuer de miser sur ses rêves tout en pensant à ceux qui ne mangent pas à leur faim…Ma gorge se noue, je suis comme mon amie, je murmure encore des «hum-hum» sans dire un mot…
J’étais déjà sensibilisée à bien des choses, je lui suis davantage aujourd’hui.
Vais-je devenir intolérante devant les abus…Peut-être et, si c’est le cas, vous en connaitrez la source et pardonnerez mes élans démesurés.
De ces «hum-hum», une vision…Que mes amis et amies africains deviennent des « citoyens du monde » à part entière.

Actuellement :

Devenir «citoyen du monde» en Amérique, une possibilité.

Devenir «citoyen du monde» en Afrique, une utopie.

Citoyen du monde selon Wikipédia :

Se nomment citoyens du monde certaines personnes estimant que les habitants de la Terre forment un peuple commun avec des droits et devoirs communs, en dehors des clivages nationaux, et placent l'intérêt de cet ensemble humain au-dessus des intérêts nationaux.

Le concept général de citoyen du monde trouve son origine dans le stoïcisme, dont les philosophes sont les premiers à s'identifier comme citoyens du monde. Il a des affinités avec l’existentialisme, courant philosophique qui met en avant la liberté individuelle, la responsabilité ainsi que la subjectivité, et considère chaque homme comme un être unique qui est maître de ses actes et de son destin.
Certains souhaitent que cette notion de citoyen du monde soit reconnue sur le plan institutionnel. Ils sont alors favorables au développement d'institutions mondiales, de type fédéral plus qu'intergouvernemental, à la différence des organisations internationales actuelles, où les citoyens pourraient être directement représentés.

Je murmure des «hum hum» sans dire un mot. Je suis dans mon plexus solaire.

N’ayez crainte, mon chakra du bonheur se porte bien parce que j’ai revu mes fils.

À tous, je souhaite une expérience similaire, un blogue exultant et des lecteurs comme vous.

Mille mercis à tous…J’ai aimé vous côtoyer semaine après semaine…Et plus encore…

lundi 20 juin 2011

Semaine 24 : 14 parcelles de quotidien Africain

Aujourd’hui, pêle-mêle de ce quotidien que je quitterai dans moins d’une semaine.
Des parcelles, des fragments, des fractions que j’ai appréciés.

De courts ou longs moments qui m’ont interpellé pour différentes raisons.

Ils sont de ceux que je glisserai dans mes conversations futures…

Un quotidien qui parle, qui traduit, qui présente la vie au temps simple ou composé dans leur vie parfois si compliquée.

Sans réflexion, sans intention, sans ambition, le plus objectivement possible. Je vous place tout près de moi pour que vous puissiez imaginer vos actions, réactions ou appréciations.

À la douzaine…Je vous en offre treize…Classique dans la vente…treize à la douzaine…Comme les épis le temps venu…

1-
20h30, Bouba et moi sommes assis dehors. Nous nous racontons notre journée lorsqu’il se leva pour aller éteindre la lumière de la galerie.
-Mais pourquoi éteins-tu la lumière Bouba ?
Pointant le ciel avec son doigt il dit :
-Y’a la lune.

2-
Avec Sylvie, la femme de Bouba, chez le boucher, elle négocie pour 500 fr de viande de bœuf.

Elle parle en patois, je ne comprends rien et suis un peu à l’écart. Elle fronce les sourcils et monte le ton pour obtenir un morceau de plus. Une fois l’achat terminé, nous marchons ensemble et elle me dit :

-C’est trop cher la viande à Yagoua, trop trop trop cher. Tu as vu quand j’ai froissé ma face, il en a ajouté non ? »

Les Camerounais utilisent beaucoup le «non» à la fin de leur phrase pour rendre interrogative leur affirmation.

Je souris…En image dans ma tête, son expression «froisser la face»…

3-
Lors de l’appel des passagers pour l’embarquement du trajet en autobus qui me mènera vers Maroua, je me lève pour me diriger dans une autre direction afin de saluer une amie. L’employé de la compagnie qui effectuait l’appel dit alors au micro : «Alyne, ne fuyez pas, nous partons».

Malgré la foule, il m’avait vu… Mais quelle gentillesse.

Ici, on se soucie beaucoup de « l’étranger» pour emprunter leur expression.
J’ai répondu en lui signifiant d’un seul doigt que j’allais saluer une amie. Il m’a donné la permission en hochant la tête.

4-
Bouba passe me voir en plein cœur de l’après-midi. Nous discutons de tout et de rien. Je lui dis que pour le diner, je réchaufferai la sauce préparée la veille.
Il reste un peu plus longtemps que d’habitude. Or, après un certain temps, il me demande s’il peut partir.

-Mais bien sûr Bouba. Pourquoi ?
-C’est que vous avez dit que vous réchaufferiez la sauce.
-Je sais mais…
-Bien, j’ai eu peur que ça vous dépasse.
-Ça va aller Bouba, j’y arriverai. Je pourrai réchauffer la sauce sans toi.
Rassuré, il est parti.

5-
Lors des contrôles pour la carte d’identité nationale dans les autobus ou autre, je n’ai jamais vraiment pu m’identifier, on faisait une halte avec la main droite en me disant : «ça va madame» ou «ça va la mère», «ça va la sœur», etc.

La couleur de ma peau ou mon âge, je n’en sais rien.

6-
Nos différences sont à tous les niveaux.

Un ami se couche sur sa natte pour un roupillon d’après-midi. Au réveil, le 100 fr qui était dans ses poches n’est plus là. Il ne le retrouve plus. Il demande aux enfants présents s’ils ont pris le 100 fr sur le sol, aucun d’entre eux ne répond.
Par la suite, un des enfants présents qui s’est fait questionner raconte l’histoire à sa maman. Prise de colère, elle revient «gronder» mon ami.

Le mot «gronder» est le mot utilisé par mon ami pour expliquer le comportement de sa voisine.

Les tensions montent.

J’arrive au même moment. Je suis là, je les écoute sans comprendre. Tous sont en colère. On parle en patois seulement.

Traduit par mon ami, elle aurait terminé en lui disant : « Mieux qu’il n’arrive rien à mon mari ou mes enfants».

Mon ami ne peut prendre ces accusations. Il est en furie. Il me dit : «elle m’a déjà vu manipuler les médicaments ?». Il dit que ses propos sont «attaquatoirs».
Son problème : si quelque chose arrivait à son mari ou ses enfants, elle pourrait l’accuser de sorcellerie et ce serait «grave» pour utiliser leur expression.

Chaque semaine, à la cour, une journée de procès est réservée aux cas de sorcellerie.

Ses conclusions : il ira voir son mari et si elle ne retire pas ses paroles, il ira voir les policiers. Il est prêt à fournir les 500 Fr nécessaires à la convocation de cette voisine devant les autorités policières.

Il était nerveux. Je n’ai pas aimé le voir ainsi.

La sorcellerie est au cœur de leurs récits. Elle est partie intégrante de leur culture, voire même de leur quotidien.

Que d’histoires j’ai entendues. Et devant tout cela, il faut demeurer muet et surtout, ne rien dire. Tout est trop loin de nos réalités. Il ne sert à rien d’être opiniâtre, nous les blesserions.

Quelques semaines plus tard, je revois cet ami qui m’informe que le mari de la femme a été informé de la situation. Il a parlé à sa dame et depuis, celle-ci n’ose plus passer devant la case de mon ami allant même jusqu’à effectuer un détour incroyable pour se rendre au puits. Maintenant, mon ami peut dormir la tête en paix.

7-
Dans le journal «Nationales», un article s’intitule comme suit : «Pratiques de sorcellerie : Ils voulaient manger leur maître d’école»

«Trois élèves de 10 ans ont décidé de tout révéler de leurs pratiques mystiques…à l’actif de ces derniers, l’assassinat de l’oncle d’un d’entre eux et les tentatives d’assassinat d’une tante de leur maître d’école….Ces enfants révèlent alors comment ils ont attaché leur enseignant et s’apprêtaient à l’immoler lorsque l’un d’eux s’y est opposé. «il nous donnait trop de devoirs en classe…c’est pourquoi ils ont voulu qu’on le tue». Les enfants racontent d’autres faits d’armes. Ils seraient alors responsables de la mort de l’oncle Jean M…Nous l’avons tué et moi je n’ai mangé que les pieds, bien que je convoitais un meilleur morceau…Tous les trois auraient été initiés aux pratiques de sorcellerie par leurs grand-mères…Ils craignent des représailles après avoir décidé de tout révéler.»

Ne faites pas comme moi en croyant qu’ils mangeaient vraiment leur victime. Il s’agit plutôt d’une forme de sorcellerie qui s’exécute à distance, du moins, c’est ce qu’on m’a expliqué.

Une amie qui a eu la chance de «connaître l’autre culture», celle des blancs me disait sans ajouter de commentaire que tout cela dépassait les juges.

Moi aussi ça me dépasse.

8-
Recueilli intégralement dans un livret consacré à la lutte au VIH, le témoignage d’un pasteur :

«Tout d’abord, il faut travailler le mental du malade en lui parlant de Dieu qu’il sache qu’il existe une divinité qui est Dieu et qu’il est capable de le guérir. Et je les conseillerai de prier l’éternel notre Dieu en demandant la guérison sans toutefois arrêter le traitement prescrit par l’hôpital sachant que d’un moment à l’autre Dieu va opérer un miracle dans leur vie. Et une fois le miracle opéré, après vérifications médical qui prouve que la PVVIH* est devenu une personne non infectée c’est-à-dire saine le malade pourra arrêter de prendre les ARV et après, s’il veut, témoigner des bienfaits de Dieu.»

*PVVIH : Personne vivant avec le VIH

Ça aussi ça me dépasse…

9-
Bouba et moi travaillons à préparer un repas pour quatre «étrangers». Ici, on ne parle pas d’invités ou de visiteurs, mais plutôt d’«étrangers».

Dans le contexte, les étrangers sont les amis que nous invitons parce que nous les aimons.

J’aide Bouba qui s’occupe de tout. Il adore cuisiner.

Je coupe le piment rouge avec mes mains nues. Une heure plus tard, les mains me brûlent. J’aurai dû mettre des gants. Je demande à Bouba si le piment leur fait la même chose et il me répond : «Oui mais nous, on supporte».

Je suis presque déçue de ne recevoir aucune compassion de sa part. Je le sermonne en lui mentionnant ma déception. Il se contente de sourire et quand j’insiste, il rit.

À l’arrivée de sa femme et sa belle-sœur, je suis toujours là, à me plaindre de mes mains qui rougissent et qui brûlent. Le tout prend de l’ampleur. On m’offre de l’huile, de l’eau, on m’encourage en me disant que ça passera et…On s’en prend à Bouba.

-Mais pourquoi tu as laissé faire madame Alyne, pourquoi tu l’as laissé couper les piments?

J’ai souri. J’étais contente. Je leur ai raconté que Bouba avait été dur et elles l’ont sermonné très très très fort. À mon tour, je souriais et riais.

10-

Marie-Eve, la femme de mon collègue de travail me rend visite pour la première fois. Elle apporte avec elle un coq vivant qu’elle tient par les pieds. Je place le coq dans ma cuisine en lui demandant si je dois laisser un bol d’eau ou autre. Je crois simplement qu’elle doit se rendre quelque part avec celui-ci.

Elle apporte également un thermos de bouilli qu’elle a préparé. Il s’agit de riz mélangé avec de la farine, du lait, un peu de citron, du sucre et du beurre d’arachide. Tout simplement délicieux.

Mais le coq ? J’apprends que c’est également un cadeau. Le cœur me serre. Je ne sais que dire.

Qu’est-ce que la «nassara» fera de ce cadeau vivant ? Je pense immédiatement à Bouba. Il m’aidera, mais avant…

Je crois qu’elle a lu mon embêtement.

Marie-Ève a une voix douce douce douce. J’ai rarement vu quelqu’un qui dégage autant de douceur.
Elle m’offre d’égorger le c
oq et de l’arranger. J’accepte avec empressement.

Elle me demande de chauffer l’eau. Je chauffe l’eau.

Elle me demande un couteau. Je lui trouve un couteau.

Elle me demande une bassine. Je lui trouve une bassine.

Et puis, elle se dirige dans le coin de la cour. Place son pied gauche sur les deux ailes du coq, empoigne la tête avec la main gauche et de sa main droite, prend le couteau et coupe tout doucement sa gorge. Je me tords de douleur. Le coq ne bouge pas. Il demeure immobile.

Il ne chante plus.

Moi qui avais déjà placé mes mains sur mes oreilles pour ne rien entendre. J’ose regarder. Je vois le sang qui gicle à chaque battement de cœur. Il se vide. Je ne pourrais dire si c’est sans douleur, mais je n’entends rien et ça me donne le courage d’être un peu plus présente à ses côtés.

Elle m’explique qu’ici, les femmes n’égorgent pas. Comment a-t-elle pu apprendre à si bien le faire ?

Je ne lui pose pas de questions, je retiens qu’elle est surement une des rares femmes qui sait égorger.

Une fois ce travail terminé, c’est ensemble que nous avons plumé le coq.

Le soir même, nous mangerons ensemble. Notre coq était délicieux.

Merci Marie-Ève, ce jour-là, j’ai reçu un coq en cadeau, mais le plus beau cadeau, c’est de t’avoir connu.

11-
Un jeune homme d’environ une vingtaine d’années que je connais un peu plus que les autres me disaient : «Madame Alyne, présentez-moi la femme blanche, sortez-moi d’ici, sortez-moi de cette misère. L’Afrique, c’est dur, vous ne savez pas comment c’est dur ».
Comment douter de sa sincérité alors que moi-même, dans la même situation, j’aurais le même discours.

Il est de ceux capables d’analyser et critiquer ce qu’il voit sans se dire : «Dieu en a voulu ainsi» ou «Inch Allah». Il rêve d’une autre vie. Il sait que cette autre vie existe ailleurs.

Il m’a confié vouloir partir sans le dire à sa maman. Il ne veut surtout pas la voir pleurer son départ.

Plusieurs de ses frères sont déjà ailleurs. Ses parents travaillent très fort à garder auprès d’eux ceux qui restent, lui et ses deux jeunes frères.

À cet ami je dis : «Du courage».

12-
Avant mon départ, je donne 10 000 Fr à un ami qui m’a été fort serviable au cours de mon séjour. Or, je lui demande d’aller m’acheter un petit paquet de café, du pain et deux mangues, il travaille tout près du marché et je sais que je le reverrai le soir même. Au plus, ça lui coutera 2000 Fr et je lui dis qu’il pourra conserver le reliquat, un cadeau que je lui offre.

Il revient, il a acheté le plus gros paquet de café, une douzaine de pains alors que je suis à cinq jours de mon départ et que je mange la moitié d’un pain par matin, des concombres pour une armée, 6 mangues, deux melons et du beurre d’arachides pour deux semaines.

-Mais…qu’est-ce qu’il te reste alors ?

-Environ 1500 Fr.

-Mais je t’ai dit que le reste était pour toi, je ne t’ai pas demandé d’acheter autant, je voulais te faire un cadeau.

-Vous partagerez si y’en a trop, y’a Bouba, y’a Sylvie, ça se mangera.
-Je sais, mais, je voulais te faire un cadeau…Tu n’avais pas compris…

-Non, il faut manger, il faut partager…

J’ai arrêté de le chicaner. Peu importe ce que je lui donnerai, il le partagera toujours.

La dernière fois que je lui ai donné un petit montant, il est allé l’offrir à sa maman.

Aussitôt en poche, aussitôt distribué.

Ce type gagne peut-être 30 000 Fr par mois. Pour vous donner une idée de grandeur, VSO me donne 200 000 fr et je n’ai pas de loyer à payer.

Il m’expliquait qu’il avait de la difficulté à voir un frère dans la misère. Que spontanément, il donnait et que parfois, parce qu’il n’avait plus rien, il angoissait et se disait qu’il devrait peut-être se réserver quelques sous afin d’éviter ces moments d’anxiété.

Cette fois-ci, c’est avec moi qu’il a voulu partager son cadeau.

13-
Dans mon bureau, une vingtaine de sacs de mil. L’un d’entre eux laisse échapper quelques grains de mil sur le sol.

Une jeune adolescente me rendant visite me dit :

-Ça me fait mal de voir ça.

Elle continue en partageant la pauvreté dans laquelle vit sa famille.

Orpheline de père depuis six ans, sa mère assure à elle seule la survie de ses six enfants. Elle me raconte que son plus jeune frère s’endort souvent en pleurant parce qu’il a faim.

Une phrase retenue ou plutôt une conclusion qui m’a été difficile d’entendre .
-On souffre quand on est orphelin.

Ce jour-là, elle a pleuré, devant moi, comme ça. Quelques semaines plus tard, elle a fait une tentative de suicide. J’en ai été informée. Je suis allé lui glisser 10 000 Fr pour le paiement des médicaments. Lors de ma visite, elle était alitée. C’était le lendemain de sa détresse. Elle souffrait encore beaucoup. Sa mère l’avait fait vomir alors qu’il aurait fallu procéder autrement. Son oesophage était irrité.

Ici, pas de psychiatre, pas de psychologues, pas de travailleurs sociaux, pas d’organismes communautaires, que les amis, environ une dizaine qui entourait sa natte où elle s’était assoupie, dehors, sous l’arbre, situé au milieu de sa cour. Elle vit dans la brousse, trois huttes pour abriter sa mère et ses six enfants.
À ce décor s’ajoute «la blanche», qui a fait ce qu’elle pouvait faire : apporter un peu d’argent pour les médicaments.

Et cet argent associé au blanc...Rien pour défaire cette pensée populaire qui veut que le blanc ait de l’argent.

Mais cet argent servira-t-il vraiment à payer les médicaments ou choisira-t-on d’acheter un peu de mil pour la famille ?

Elle a 14 ans, peut-être aura-t-elle le goût de s’acheter une robe, un chandail, des greffes pour allonger ses cheveux ou encore, un savon parfumé ?

Honnêtement, je m’en contrefiche…Qu’elle fasse ce qu’elle veut de ce billet…Qu’elle se fasse plaisir, mais je sais une chose, elle le partagera avec sa sœur jumelle, elles sont toujours ensemble.

Leur vie, parfois simple, parfois compliquée…Mais plus souvent compliquée… Pour trop de raisons…

Un ami africain m’écrivait récemment ceci :

…l'Afrique confrontée à plusieurs défis, reste, néanmoins, un exemple par excellence, de solidarité, de partage et d'amour, même si ses habitants sont pauvres…

La vie en Afrique.
Encore faut-il vouloir en voir les différences.

Personnellement, autant que faire se peut, j’ai été avec eux…Au fil des rencontres et des situations, j’ai côtoyé, j’ai partagé, j’ai apprécié et j’ai été dérangée.
Inutile d’en ajouter. Les dérangements sont personnels à chacun alors…J’espère que par moment, tout au long de ces blogues offerts, j’ai su vous déranger…

De cette chaleur décrite à mes ennuis profonds, du «Petit Jos mon héros» aux hippopotames du Logone, d’Oscar le Lézard à la folie et la sorcellerie et de mes voyages en autobus à mon plexus solaire…J’ai aimé ces rencontres hebdomadaires ou le défi de vous faire découvrir le Cameroun devenait mon leitmotiv.

Je dois continuer… Pas le choix…Parce que les Camerounais ne cessent de me toucher…Nous en sommes à quatorze à la douzaine…

14-
Sur la route entre Maroua et Yagoua, entre deux villages, un pont en construction, des ouvriers qui s’affairent et un itinérant.

On me dit qu’il est là chaque jour. Il erre. On le voit se promener et nous regarder passer. Il a été là chaque fois que je suis passé par là.

Maintenant, ce qui motive le numéro 14…

Ce matin, je prends l’autobus entre Maroua et Yagoua. Avant le départ, j’achète cinq œufs à la coque et partage le tout avec mes voisines et voisins. La voisine à ma gauche ne cesse de me dire merci. Elle parle en patois à sa voisine, lui montre l’œuf et j’entends : 500 fr, le prix que j’ai payé pour les œufs partagés. Elle termine avec un air d’étonnement et ses derniers mots sont : 500 fr.

Je suis touché par autant d’appréciation. J’en suis même mal à l’aise.

Un peu plus loin, tout au cours du trajet, elle ouvrira son sac qui contient 6 pains frais et m’en offrira un. Je lui en prends la moitié d’un pour être polie. Elle en prend un et referme son sac en l’attachant fermement.

Une fois arrivée au pont décrit ci-haut, elle dit à voix haute : «Bouba». Le type assis à l’avant de l’autobus se retourne et elle lui envoie le sac de pains. Je conclus qu’elle veut partager son pain avec son ami Bouba.

Eh non…

Bouba ouvre la fenêtre et lance le sac noir à l’itinérant. Celui-ci se penche et ramasse son butin, sourire aux lèvres.

Je lui fais part de sa générosité, je lui dis que je trouve ça trop trop trop beau, je lui demande si tout était planifié, je la félicite et en même temps, je la sermonne en lui disant qu’il fallait me dire, que j’aurais ajouté quelques œufs.
Je lui dis que c’est la première fois que je vois quelqu’un poser ce geste, je lui dis qu’elle a un grand cœur, un très très très grand cœur.

Toutes ces observations sont entrecoupées par mon regard soutenu sur son visage. J’insiste. Je veux voir à quoi ressemble quelqu’un qui planifie autant de générosité, de bonté. Elle me touche beaucoup. Je la revois apprécier l’œuf que je lui offre alors qu’elle-même était en train de préparer quelque chose de plus grandiose.

Mon regard contemplatif et mes mots lui font baisser les yeux et sourire. Elle va même jusqu’à rire quand elle constate mon insistance à lui dire et redire.
Elle me dit qu’il est ici depuis trois ans. Toujours au même endroit et dans les mêmes habits.

Je lui dis que samedi, lorsque je reviendrai vers Maroua, je préparerai un sac pour lui.

Elle me dit que ce sera bien.

Qu’en pensez-vous…Croyez-vous que cette histoire valait la peine d’être ajoutée?

samedi 18 juin 2011

SEMAINE 23 - Un voyage en autobus

Allez. Montez…

Plus vite que ça…

Vous vouliez me suivre alors suivez-moi.

Petit conseil, si vous avez le cœur fragile, prenez un antinauséeux.

Je vous ferai faire un voyage en autobus. C’est gratuit.

Pour votre premier voyage, nous montons dans un «gros» autobus et parcourons un des plus long trajet que j’ai fait jusqu’ici, Ngaoundéré-Maroua.

Le gros autobus a ses compartiments à bagages sous les sièges. Un espace fermé où vous laissez vos gros sacs ou tout autre colis trop encombrant. Imaginez, j’ai vu des paysans y faire monter deux chèvres. Inusité selon mon amie d’ici, elle n’avait jamais vu cela.

Je ne souhaitais qu’une seule chose, qu’ils réfléchissent davantage et qu’ils trouvent un autre moyen de transport pour ces dernières.

Et vos bagages à main, ils vous suivront à l’intérieur, un espace de rangement se trouve au-dessus des sièges. Pour vos sacs contenant des objets un peu plus précieux, vous ferez comme tout le monde et les placerez à vos pieds ou sur vos genoux. Vous ne les laisserez guère de peur de les perdre ou de les retrouver dans un état second.

Le petit autobus a un support sur le toit. Il arrive que vous deviez tendre votre sac au préposé aux bagages qui s’y trouve déjà. Il rangera et attachera le tout avec une bâche et des cordes. Pour ma part, puisque trop petite, j’ai toujours eu un bon Camerounais qui est venu tendre mes bagages pour moi. Même les plus grands sont à bout de bras alors…Vous m’imaginez ?

Le gros autobus est très long…Environ une trentaine de rangée sinon plus. De l’extérieur, elle demeure très invitante. Trois sièges d’un côté et deux de l’autre. Au milieu, un passage pas plus large que moi.

Les sièges : bien assise, j’en occupe toute la largeur, ce qui veut dire que trois personnes comme moi remplissent tout l’espace offert aux passagers et le couloir demeure libre.

Or, la réalité est tout autre. Ici, mon format est assez rare. Si vous êtes un homme, vous me doublez et si vous êtes une femme, y’a des chances que vous soyez également plus large si «Dieu vous a donné quelques enfants», pour emprunter leur expression.

Puisque la majorité des gens dépassent la largeur des sièges offerts, se trouve alors un débordement qui pousse chaque individu vers le couloir central. Résultat, si vous vous placez tout près du conducteur et que vous regardez vers l’arrière, vous ne verrez que des rangées de cinq personnes assises, et ce, jusqu’à l’arrière de l’autobus. Vous vous demanderez où se trouve le couloir, mais, ne vous en faites pas, dès que vous feignez un mouvement, le couloir s’ouvrira telle la caverne d’Alibaba.

Lors d’un trajet, une collègue était bien mal prise, utiliser son dossier lui était impossible, les deux hommes assis de chaque côté d’elle étaient de véritables costauds et tenez compte que l’homme qui étais assis dans le siège tout près du couloir occupait déjà une moitié du couloir.

Après avoir bien blagué, le tout ayant duré une bonne heure, je me suis sacrifiée et nous avons changé de place.

Selon mes collègues, j’étais bien «encadrée» et rassurez-vous, j’ai réussi tant bien que mal à utiliser le dossier puisqu’un peu plus mince que ma collègue.

Pour ce qui est des petits autobus, sur quatre sièges dont l’un d’entre eux a un demi-dossier qui se replie pour laisser passer les gens, cinq personnes devront s’asseoir. Une fois tous assis, il n’y aura plus de couloir.

Au dernier trajet, j’avais les jambes et les pieds engourdis. À l’avant-dernier trajet, mon épaule droite était sur l’épaule gauche de mon voisin de droite, et ce, en alternance, moi sur lui et lui sur moi, seulement nos épaules.

Pour dire vrai, je ne saisis pas cette logistique : cinq personnes sur quatre sièges.

Optimiser les déplacements en imposant autant d’inconfort à sa clientèle.

Tout cela me rappelle ma visite à l’Ile de Gorée. Ces négriers où on entassait les noirs dans les cales de bateau…

Ce temps n’est pas révolu, il persiste et dure dans les transports en commun et bien ailleurs. Un rappel de leur triste histoire…L’esclavage est terminé, mais bien des choses sont demeurées.

Le transport en commun du temps (négrier) et le transport en commun d’aujourd’hui (autobus) ont des points en commun : l’optimisation des déplacements à moindre coût pour une meilleure rentabilité monétaire.

Dans les faits, le plus étrange est de constater que maintenant, cette imposition vient des compagnies locales qui s’enrichissent aux dépens du peuple…De leur peuple…
Je ne me suis jamais habitué à voir ces gens s’entasser avec leurs bagages, leurs enfants ou leurs bébés sur leurs genoux, à demi adossés, le bras allongé derrière le voisin de droite ou de gauche, les bras appuyés et croisés sur le siège avant soutenant leur tête et tentant de trouver une position qui vaille pour le trajet à parcourir.

Tout cela me heurte. Non pas en raison des moments où j’ai dû le vivre, mais plutôt parce que j’étais à même de constater le traitement réservé à ces gens qui subissent déjà trop de misère. En ajouter davantage lors de leur déplacement me scandalise. Jamais je ne voudrais voir ma maman dans ces conditions et pourtant, je vois souvent des grand-mères effectuer des trajets fort longs.

Je revois cet homme, victime d’un accident cérébro-vasculaire, marchant très difficilement et devant se rendre à Yaoundé. Un trajet d’autobus de dix heures suivi d’un trajet en train de 14 heures…Je l’ai accompagné avec un confrère. Il était impossible pour lui de marcher seul. Par-dessus sa douleur, ces conditions de transport.

Quelques semaines plus tard, j’ai su qu’il était décédé sur la table d’opération.

Les entendre me dire : «Mais c'est l'Afrique» me rappelle le film «Diamants de sang», CCA : C'est ça l'Afrique ou TIA...This is Africa...

Continuons la route…

Maintenant que vous avez pris votre antinauséeux, l’autobus part. Ils sont tous des «Gilles ou Jacques Villeneuve» en devenir.

Nous sortons de la ville.

Je ne sais pas si l’autobus est muni d’une suspension, mais, nous bougeons, de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas, de bas en haut…À vomir, mais, je ne suis pas inquiète, vous avez tous pris un comprimé et si vous ne l’avez pas fait, c’est parce que vous êtes solides.

Nous voilà enfin sur l’autoroute, il faut éviter les trous…Coup de volant à la dernière seconde, rangement rapide à droite parce qu’un énorme camion nous fonce dessus, dépassement lorsque nécessaire, enfin…Regarder droit devant peut vous garantir la nausée.

Nos normes de sécurité nord-américaines sont mises en plan.

Nous sommes frôlés et nous frôlons.

Les coups de volant nous font valser, un balancement presque continu, les trous sont partout et les obstacles aussi : ânes, moutons, piétons, bicyclettes et plus encore.

Ici, nous appelons les ânes «Ministre du transport» tellement ils occupent le chemin. Ils sont là, ils ne bougent pas et les voitures doivent les contourner ou attendre qu’ils daignent se tasser à la manière africaine…Tout doucement, doucement, doucement.

Lorsque nous traversons les villages, le klaxon y va de plus belle, un «puttt» prolongé avec quelques «puttt» un peu plus court. Les ânes, les moutons, les piétons, les bicyclettes se tassent et nous passons.

Je vous le répète : nous sommes frôlés et nous frôlons…

Le conducteur arrête. Il doit mettre de l’essence. La station est invitante. Nous allons acheter ce qu’il faut pour continuer.

Les «puttt» se multiplient…

Le conducteur arrête. Il doit prier. Le village est invitant, nous allons acheter ce qu’il faut pour continuer.

Nouveau départ, nous sommes frôlés et nous frôlons…

Le conducteur arrête. Il doit pisser. Le village est invitant, cette fois-ci, nous allons se mettre à l’aise…

Chez nous, on va pisser, on va aux toilettes, on va au petit coin, etc.

Nous continuons.

Le conducteur arrête. Nous sommes à une station d’arrêt d’un des villages où certaines personnes doivent descendre. Le village est bruyant et vivant, encore quelques achats.

Par moment, mes ongles s’enfoncent dans le dossier du siège avant, mes fesses se serrent très fort, je prie ou, carrément, j’arrive à dormir, oubliant tout ce qui se passe devant moi.

Maintenant, imaginez…C’est important si vous voulez vraiment me suivre.
Votre voyage est de 10 heures…À vos pieds, votre ordinateur que vous ne voulez pas abimer…Vous la replacez sans arrêt parce qu’elle écrase et engourdit vos jambes et vos pieds.

Vous ne pouvez la placer ailleurs… Votre voisin de droite exerce une pression sur votre épaule, le sommeil le prend et il s’endort en penchant de votre côté. Il pèse. Vous endurez. C’est votre ami et vous l’aimez bien. Les Africains dorment partout dans toutes les positions. Assez impressionnant.

Imaginez maintenant que les sueurs de tous se mélangent et que vous devez continuer de respirer. Le thermomètre est à 35 degrés, il n’y a pas d’air conditionné et le soleil plombe de votre côté.

Un homme et une femme se chicanent pour le même siège. Le ton monte. L’homme dit qu’il va la frapper. Elle l’invite à le faire. Il dit qu’il s’assoira sur elle et s’exécute. Elle crie. Nous sommes tous là, témoins muets de cette altercation qui ne cesse.

La femme ne bougera pas et l’homme n’aura pas le choix d’abdiquer, il occupera le siège tout près d’elle. De temps à autre, elle le menace parce qu’il s’appuie contre elle. Il lui répond du tac au tac.

Au cours du long voyage, les cris ont diminué et nous les avons entendus se parler, voire même se courtiser. Après cinq heures de route, l’homme dormait sur l’épaule de la femme. Lors d’un arrêt, un des passagers a demandé à l’homme de changer de place avec lui…Elle a crié «non»…Il a dit «Elle ne veut plus que je parte». TOUS les passagers ont ri.

Une fois à destination, nous les avons vus échanger leur numéro de téléphone. L’homme est venu s’asseoir non loin de moi et je lui ai dit : «Mais c’est comment?». Mes collègues ont ri. Il m’a répondu : «C’est une femme qui cherche l’homme».

Elle a trouvé.

Je vous le dis, à certains moments, j’étais intimidée tellement le ton montait. Les gens d’ici savent bien rire, mais quand ils sont en colère…Ils ont les mots, le ton, le volume et le débit. Or, une fois la colère terminée, ils en riront, trainant dans leur rire, les autres passagers ou les gens qui sont avec eux.
Je quitte bientôt. J’ai choisi de prendre l’avion.

Je vous remercie d’être monté à bord de Danai, Amour Mezam ou Vatican…Les trois compagnies qui m’ont permis de vous décrire ce blogue sur le transport en commun et sur les conditions imposées aux voyageurs.

mercredi 8 juin 2011

SEMAINE 22 - Education et religion

Je me proposais bien de m’y rendre, mais je ne connaissais ni les circonstances ni l’occasion qui motiveraient mon déplacement vers ce lieu sacré qu’est l’église.

L’appel d’une amie a suffi.

-Bonjour Alyne, c’est Julienne. Demain, ma grande fille qui est ton homonyme sera baptisée, tu y seras?

Le lendemain, le 2 juin, nous étions le jour de l’ascension.

Le lendemain, je me rendais à l’église.

Une «Aline» africaine. Une «Aline» de couleur noire. Une «Aline», point.
Une «Aline» en pleine croissance. Une «Aline» sera baptisée, ici même à Yagoua.
Nous sommes si rares au Québec. Trouver une homonyme si jeune à des kilomètres de mon domicile me fait chaud au cœur.

Bouba (mon gardien de nuit) et sa femme me disent sans cesse que si Dieu leur donne une fille, elle portera le nom de «Aline Laflamme». Vous y pensez, ils incluent également mon nom de famille. Je l’ai fait répéter deux fois plutôt qu’une et il a répondu «oui, elle s’appellera comme ça : Aline Laflamme».

Je l’ai menacé de le surveiller de très très très près. Je le ferai. Je lui ai offert un téléphone pour être certaine de pouvoir le rejoindre en tout temps.

Vous savez, de tout cœur, je leur souhaite une fille, une «Aline Laflamme» qui les accompagnera tout au long de leur vie faisant en sorte qu’ils ne pourront m’oublier.

Confidence, je crois qu’ils ne m’oublieront pas, tout comme moi, je ne les oublierai jamais.

Ascension : Montée au ciel du Christ ressuscité. Fête chrétienne qui célèbre cet événement le quarantième jour après Pâques, soit le jeudi de la sixième semaine après Pâques.

Ici, au jour de l’ascension, on baptise et on confirme les fidèles. Ils sont de tout âge. Ici, l’église ne baptise pas les enfants dont les parents ne se sont pas mariés devant l’église. Puisque beaucoup de gens se marient à la mairie pour ensuite se marier devant l’église, et ce, par manque d’argent, beaucoup d’enfants sont baptisés tardivement.

Ce qui était le cas de cette «Aline» qui a maintenant 7 ans.

La cérémonie a duré trois heures et demie. Nous étions à l’église St-Paul. Pas de banc, pas de chaise, un amphithéâtre où chaque gradin ou palier permet à l’auditoire de s’asseoir.

Mais avant, les différences.

Nous sommes entassés dans un four. La chaleur ambiante nous cuit littéralement. Les Africains ont toujours un mouchoir pour essuyer leur sueur et pour cause, je n’ai jamais vu autant d’eau ruisseler dans la figure des gens.

Toujours dans cette église, la première chose qui me frappe est l’odeur. Je respire par la bouche, mais après un certain temps, je m’habitue et j’arrive à respirer par le nez.

L’odeur de notre sueur se mélange à celle des autres. Moi aussi je pue.

Dans ma tête, je me demande si chaque messe à sa propre odeur, son propre parfum, sa propre fragrance.

En ce jeudi, les gens sont endimanchés, les femmes portent leur plus beau pagne et les hommes ont enfilé leur plus belle chemise. Ils sont beaux. Ils sont fiers. Ils sont de circonstances.

Les épitres sont lues par des adultes, et ce, dans quatre langues différentes : le français, le massa, le toupouri et le moussey. Je ne vois la différence, je dois demander à un ami de m’éclairer.

Une chorale accompagnée de flûtes traditionnelles et de tam-tam prend la relève après chaque lecture, le rythme est bon, les gens se lèvent et dansent tout en respectant l’espace qu’ils occupent. Les coudes pliés à 90 degrés, les poings fermés, les bras se balancent de l’extérieur vers l’intérieur.

La jeune fille assise à ma droite tente de m’enseigner, mais elle n’est jamais satisfaite. Je lui dis que j’abandonne.

Et puis, elle prend mes cheveux et me dit que je dois les peigner. Je lui dis que je l’ai fait, mais que le vent a tout détruit. Elle me répète que je devrais quand même les peigner.

Pour un moment, j’ai douté de l’état de mes cheveux.

Les chants continuent. On se balance en conservant la cadence. La salle bondée de fidèles est en mouvement continu, et ce, tout au long des champs africains chantés dans différents patois.

C’est beau. Je prie en Afrique. Je prie pour tout ce que j’ai vu jusqu’ici.

Je prie pour les rejoindre, je prie pour être avec eux, je prie parce que je crois en leur prière. Je prie parce qu’ils ont l’air bien. Je prie parce qu’en ces lieux, je crois qu’ils oublient leur pauvreté et leur misère.

Malgré mon acte d’apostasie, mon renoncement à ma foi chrétienne, je prie et j’espère que Dieu, s’il existe, entendra mes prières. Elles sont sincères.

Telle la brebis égarée, je reviens auprès du Christ.

Bon, j’y vais un peu fort, mais…C’est la phrase qui me vient à l’esprit…

Sachez que, ceci ne sera que le temps d’un moment, le temps d’un instant, le temps d’une prière, le temps d’être «solidaire» parce que les Africains sont «solidaires».

Je veux partager cette solidarité, ce qui n’a d’égal. Je ne cesse d’être impressionnée. Tous les gens, j’ai bien dit «tous les gens» avec qui je travaille hébergent un neveu, une nièce, un cousin, une cousine pour un temps indéterminé. «C’est comme ça» me disent-ils lorsque j’honore leur geste.

Un ami me disait que la famille est au-delà de tout et que ce qu’il fait aujourd’hui pour deux jeunes cousins venus étudier à Yagoua sera peut-être un jour remis à son fils ou sa fille…«On ne connait pas l’avenir» me dit-il.

Pour ces raisons qui me touchent, je veux être en union avec eux.

Je me joins à leurs prières.

Vous ai-je dit qu’ici, le bénédicité prend tout son sens ? Je n’ai jamais tant remercié le ciel de pouvoir manger.

Et lorsque je suis avec eux, si j’oublie le bénédicité, je me sens un peu mal à l’aise.

Dans les faits, nous devrions tous reconnaître la chance que nous avons de pouvoir manger, nous devrions remercier le ciel ou celui que vous voulez.

Jusqu’ici, je mange trois fois par jour et je n’ai jamais souffert de la faim.

Ici, j’ai de la chance. Dans mon pays natal, je suis dans les normes bien que je reconnaisse que la faim existe également dans certains quartiers défavorisés.
La différence : ici, elle est omniprésente.

Je continue.

À ma gauche, celle qui m’accompagne. La fille de mon amie avec sa petite sœur de moins de deux ans. La petite veut bouger et parler, elle est couchée sur les cuisses de sa grande sœur, tête sur ses genoux, face tournée vers le ciel. Elle observe sa deuxième maman.

La grande sœur reste calme, avec son index, elle lui montre l’immense crucifix derrière l’autel, approche sa main au dessus de ses yeux et ferme ses 4 doigts sur son pouce à plusieurs reprises et recommence le stratagème à deux ou trois reprises.

Tout au long de ces mouvements effectués lentement et doucement, la grande sœur regarde la petite sœur.

La petite étudie chaque geste, chaque mouvement effectué est observé.

Croyez- le ou non, cette petite est demeurée muette et tranquille tout au long de la cérémonie religieuse.

Les enfants africains sont calmes. Je crois que c’est attribuable au temps passé au dos de leur maman, de leur petite ou de leur grande sœur.

Leurs premières années de vie sont à dos de femme, mère, grand-mère, sœur, tante, etc.

Ils se promènent de bras en bras au grand bonheur de tous. Frères, sœurs, grand-père, grand-mère, cousins, cousines, etc.

Bon, mes fils, j’ai fait la même chose. Je vous ai porté, mais peut-être un peu moins.

Au cours de l’homélie, j’ai gardé la petite dans mes bras. Elle me voit souvent et pour cette raison, elle n’a pas peur de la peau blanche.

Elle a été très très très sage. Quand elle me voit elle dit : A-line. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a un temps d’arrêt entre le «A» et le «line».

Des sculptures, des peintures, des statuts, des richesses ou autres : Rien de tout cela. L’Église est en ciment. Un autel, deux chandelles, quelques ventilateurs, un immense crucifix en bois, des rideaux offerts par un fidèle de la place et qui est remercié par le curé avant même que la messe débute et…Des gens qui croient et qui prient.

Ici, je vous dirais que les chrétiens sont ceux qui s’en sortent le mieux.

Contrairement aux musulmans, ils «fréquentent» comme ils le disent si bien.

Ils «fréquentent» : l’école, le lycée, l’université, l’école technique, etc.

Dans l’un des projets présentés par mon partenaire nous pouvons lire que les principales religions pratiquées dans le diocèse où nous sommes sont les religions traditionnelles, le christianisme et l’islam.

Ici, je découvre que le christianisme est la religion qui a permis la plus grande évolution, elle est associée à l’éducation. Il y a des écoles chrétiennes partout.
Je suis dans un village de l’Extrême Nord. Mon analyse porte sur la documentation lue au cours des six derniers mois et sur la réalité qui m’entoure.

Ici, les chrétiens que je côtoie ont des diplômes. Très souvent, dans leur histoire de scolarisation se trouve un prêtre, un missionnaire ou une sœur qui a contribué ou simplement encouragé.

Le discours est unanime, les chrétiens vont à l’école alors que les musulmans éduquent leurs enfants à bien gérer le «petit commerce». Une réalité décrite par les gens d’ici.

Pendant que les enfants des musulmans gardent les bœufs ou vendent les beignets, les enfants des chrétiens sont à l’école.

Un sociologue d’ici me disait que certains musulmans associent l’école au christianisme. Ils choisiront l’école coranique à toute autre forme d’éducation.
Simple anecdote, un homme d’ici qui a adhéré au christianisme dans son jeune âge me racontait que son père animiste l’avait poursuivi avec un arc et des flèches pour ne pas qu’il se rende à l’église.

Vous y pensez…Poursuivre son propre fils avec un arc et des flèches. J’en ai frissonné…Et il racontait le tout en riant.

Il a «fréquenté» et occupe aujourd’hui un poste fort enviable.

Assurément, si mes conditions de vie étaient directement liées à mon choix de religion, égoïstement, je choisirais celle qui m’offre le plus.

En mode survie, je vendrais mon âme aux représentants du Dieu qui m’offrirait le plus. La vente aux enchères serait permise.

Ici, plusieurs sont en mode survie. Ici, on prie.

Et nous, ne prions-nous pas davantage dans nos misères et nos tourments ?

Un vieil homme d’ici me disait que lors de l’évangélisation, certains fidèles adhéraient au christianisme un jour pour adhérer à l’islam le jour suivant. C’était la chasse aux fidèles.

Ici même à Yagoua, un pasteur et sa femme furent assassinés à la fin des années 70. L’histoire veut qu’ils aient été une menace réelle pour l’Islam et qu’ils en aient payés de leur propre vie.

Le récit est atroce. Les tensions étaient grandes entre les concitoyens. Le fils du couple a dû intervenir. Il a demandé un appel au calme et a mentionné qu’il avait lui-même pardonné aux assassins. L’appel au calme a été reçu. Le village se serait calmé.

Dans un petit village comme Yagoua, cette histoire survivra au temps.

Et cette foi…Ma mère me disait que ma grand-mère a fait bien des neuvaines dans sa vie…J’ai pensé à elle lorsque j’étais à l’église.

Nos aïeux avaient la foi. Mes aïeux ont prié plus que moi.

Tout comme un ami du Québec qui a passé quatre longues années au Cameroun, je crois que la solution demeure l’éducation.

Mais, cette éducation a un prix. Je suis toujours touchée par les efforts que font les gens de la brousse pour envoyer leurs enfants à l’école. Si vous saviez ce qu’ils leur en coûtent.

Proportion toute gardée, certains investissent leur salaire mensuel pour l’inscription annuelle de deux enfants seulement.

Imaginez que vous deviez consacrer l’équivalent de votre salaire mensuel familial à l’inscription de deux de vos enfants à l’école publique ?

Malgré tout cela, ne concluez pas que la misère ne se retrouve pas chez les chrétiens, au contraire, le taux de pauvreté dans cette région du Cameroun est le plus élevé au pays. Il est à 49 %.

Malgré leurs prières, les miracles sont rares. La pauvreté ne s’enraye pas aussi facilement. Bien que nous puissions faire la différence entre la pauvreté et la misère, j’avance que trop souvent, la pauvreté engendre la misère.

Et pour ne pas que vous pensiez qu’il n’y a pas vent de changement chez les musulmans, l’un d’entre eux me disait qu’il ne voulait pas avoir plus de deux enfants, que sa fille irait à l’école chrétienne parce que l’enseignement y est meilleur et qu’elle devrait terminer l’école avant de penser se marier.

Et en attendant, ici, je continue d’entendre :

S’il plait à Dieu…Si Dieu le veut…Dieu en a voulu ainsi…

Dieu a donné «x» enfants…Dieu a repris un de mes enfants…

Dieu est venu le chercher… Dieu l’a ramené auprès de lui…

Je prie Dieu pour…Dieu a donné ceci ou cela…Dieu seul le sait…

Dieu tout puissant…Dieu est grand…Dieu est bon…

Dieu…

L’intervention divine explique tout.

Et moi, parfois, j’aimerais les entendre expliquer autrement…

Résilience ou ignorance…Je choisis résilience…Parce qu’ils savent…

J’admire leur courage. Je les admire, tout simplement.

Je leur souhaite la résurrection de Thomas Sankara…Le Che Guevara africain…

Puisse Dieu leur en offrir encore quelques-uns comme lui…

Pour vous, j’ai «wikipédié» Thomas Sankara :

Thomas Sankara est un homme politique anti-impérialiste, panafricaniste et tiers-mondiste burkinabé. Il est né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta et mort assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou au Burkina Faso.
Il incarna et dirigea la révolution burkinabé du 4 août 1983 jusqu'à son assassinat lors d'un coup d'État qui amena au pouvoir Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987. Il a notamment fait changer le nom de la Haute-Volta, issu de la colonisation, en un nom issu de la tradition africaine le Burkina Faso, le pays des hommes intègres et a conduit une politique d'affranchissement du peuple burkinabé. Son gouvernement entreprit des réformes majeures pour combattre la corruption et améliorer l'éducation, l'agriculture et le statut des femmes. Son programme révolutionnaire se heurta à une forte opposition du pouvoir traditionnel qu'il marginalisait ainsi que d'une classe moyenne peu nombreuse mais relativement puissante.
L'héritage politique et « identitaire » de Thomas Sankara — tout comme ceux de Patrice Lumumba, Amílcar Cabral ou Kwame Nkrumah — est considérable en Afrique.

mercredi 1 juin 2011

Plexus et chakra

Mendicité. Pauvreté. Misère.

Souffrance. Faim. Tiers-monde.

Carence. Maladie. Itinérance. Saleté.

Orphelinage. Veuvage. Lévirat. Sororat.

Demander. Supplier. Quêter.

Donner.

Donner quand c’est possible. Donner quand on peut. Donner pour avoir du sens. Donner pour donner.

Donner quoi : de l’argent surtout.

En retour : leur sourire, leurs poignées de mains, leurs salutations et leur révérence.

Pour vous, des mots qui se succèdent.

Pour moi, des images qui se succèdent.

Et que provoquent ces mots pour vous ? Je n’en sais rien.

Et ces images pour moi : de longues réflexions.

Ici, je me retrouve souvent dans mon plexus solaire. Ce point, juste là, entre mon nombril et mon sternum, là où j’ai recueilli quelques gouttes de sueur pour la première fois de ma vie au cours des derniers mois. Je vous l’ai dit, j’ai sué de partout, partout, partout.

À cet endroit précis, l’être humain y ressent son mal physique lié à ses incompréhensions, à ses ruminations, à ses maux psychologiques. J’ai lu récemment que le plexus solaire est le chakra clé du bien-être.

Chez moi, les scènes injustes ou malheureuses s’y logent et interceptent l’énergie de ce chakra si cher.

L’abbé Pierre n’a jamais perdu sa capacité de s’indigner. J’y travaille.

Dans les faits, selon les circonstances, l’inconfort provoqué dure plus ou moins longtemps, quant à son intensité, elle diffère à chaque fois.

Depuis mon arrivée, j’ai traversé différentes intensités ou durées.

Le dernier inconfort s’est produit tout dernièrement. Je me suis rendu dans deux villages de la brousse pour livrer des médicaments. Le choléra sévit, on en parle même à la radio.

Vingt nouveaux cas par jour.

Nous nous sommes arrêtés chez les sœurs et l’une d’elles nous a accompagnés pour la livraison des médicaments. Après plusieurs années auprès d’eux, elle parle leur patois et pourra nous introduire plus facilement.

Une fois sur place, des malades couchés sur le ciment ou directement sur les ressorts de lit sans matelas. Tous sous perfusion. L’une d’elles a déjà pris 45 sacs.

Le gouvernement paie la médication contre le choléra, mais le chemin pour se rendre aux fonctionnaires qui approuveront la livraison est parsemé d’embûches. Les interventions d’urgence sont inexistantes. Plus efficace et rapide d’appeler mon coordonnateur qui dirige un département de santé. Il a été appelé en renfort dans la nuit de dimanche à lundi.

Le lundi matin, à la première heure, nous y étions.

Des gens, trop de gens sont là tout près de leurs malades. La sœur tente de les éloigner, mon collègue en fait tout autant. Elle se désâme pour expliquer…Les mots, les gestes, les explications ne suffisent pour les chasser de ce lieu de contamination.

Et pendant ce temps, j’observe cette sœur et me rappelle la scène de la télésérie sur la vie du docteur «Lucille Teasdale» dont le rôle était joué par Marina Orsini.

Les images se superposent.

Dans la télésérie, Dr Teasdeale se fâche pour tenter de faire comprendre aux gens du village de ne plus couper les gencives de leurs enfants avec une lame ou des morceaux de verre. Ses mots, ses gestes, ses explications ne suffisent.

Pour cette scène, la sœur aurait pu remplacer Marina Orsini avec brio.

Résultat : les paysans resteront là, à accompagner leur frère, leur sœur, leur père, leur mère, leur voisin, leur voisine dans leur maladie. Et le choléra continuera de se propager.

C’est comme ça, les gens de la brousse ne comprennent rien aux histoires des blancs.

L’espérance de vie est de 42 ans pour les femmes et de 41 ans pour les hommes, passé ce cap, tu as de la chance alors, qu’y perd-on ?

Toutefois, si on survit à cette épidémie, leurs liens seront encore plus forts. Pourquoi ? Parce qu’ils seront restés là, à accompagner leur frère, leur sœur, leur père, leur mère, leur voisin, leur voisine dans leur maladie.

Un collègue qui a 40 ans me disait que s’il passe 60 ans, il vivrait sur du temps béni.

Avec lui, j’ai longuement discuté sur le darwinisme, sur la vie, sur l’Afrique, sur l’Amérique, sur ses rêves, sur un peu tout. Pour lui, devenir adulte dans son pays résulte de la capacité de l’individu à survivre aux nombreux facteurs environnants. Les plus faibles sont tôt ou tard éliminés pour quelque raison que ce soit.

À 40 ans, il se dit un survivant. Je lui dis toujours qu’il possède une génétique gagnante. Ses propos me font croire qu’il a pleuré trop de frères. Un jour, il me l’a confirmé, il a effectivement pleuré trop de frères…Jusqu’à ne plus pleurer…
Cette confirmation a été suivie d’un silence que je n’ai pas voulu briser. Je me suis tu. Je crois qu`à ce moment précis, il a eu une douleur au plexus solaire. Ils ne les pleurent peut-être plus, mais tous continuent d’être là…

Ce jour-là, chakra perturbé, nous avons continué la route que nous faisions ensemble.

Mais dites-moi, vous avez déjà observé un individu qui se retrouve soudainement dans son plexus solaire ? Il fixe le vide… Impossible de déterminer ce qu’il regarde, sa bouche se ferme, ses mâchoires se serrent et sa pensée est loin loin loin…

Enfin…Depuis que nous nous connaissons mieux, le darwinisme revient sans cesse entre nous, pour tout et pour rien. Chaque fois, nous sourions et rions. Ce type, je l’admire. Pour son intelligence, pour ses analyses, pour sa lucidité quant aux tristes réalités de son continent, pour ses questionnements et pour les discussions que nous avons ensemble.

Il est le seul à savoir que j’ai fait une demande d’apostasie. Vous auriez dû voir son visage…Il croyait que seul l’évêque pouvait apostasier, il ne pouvait imaginer qu’un individu puisse demander une apostasie. Après sa réaction, je lui ai demandé de ne pas partager cette confidence…Je venais de le frapper un peu trop fort. En fin de compte, il a malgré tout compris. Il m’a même confié qu’il n’aimait pas que l’Évêque apostasie les jeunes garçons qui choisissent d’être initié par la tradition, il m’expliquait que cette position le coinçait entre sa religion et sa culture, choisir entre les deux lui était difficile.

Je l’appelle Kounta Kinté.

Je poursuis en vous mentionnant que c’est avec lui que j’ai livré les médicaments dans les centres de santé. Il est mon coordonnateur.

Toujours ce même jour, sur le chemin du retour, nous sommes allés rendre visite au médecin du centre de santé publique qui couvre le territoire affecté par le choléra. Il était débordé. Il nous expliquait que son équipe était intervenue auprès des gens qui s’approvisionnaient en eau directement dans les mares. On voulait sensibiliser la population du danger lié à la consommation de cette eau et à la propagation du choléra.

Après leur plaidoyer, une femme a continué de puiser l’eau et a dit : « je mourrai du choléra». Tous les paysans présents ont applaudi.

Tout au long de son récit il disait : «Mais ils ont la tête dure».

En fait, leur réalité en cette période de l’année est simple, ils ont le choix entre mourir du choléra ou mourir de soif. Les puits sont à sec et les forages sont insuffisants. La désertification avance. Le sahel perd ses arbres. Ce sont pour eux les effets du réchauffement de la planète. Là où on vivait bien, voilà qu’on vit un peu moins bien.

À tous ceux qui oseront les juger, je les invite à venir passer un an dans leurs souliers et de tenter de faire mieux avec les mêmes moyens et connaissances…Scolarité incluse.

Et puis non, je vous aime tous très fort, un an, c’est énorme, si vous n’êtes pas un individu capable de survivre aux nombreux facteurs environnants, vous serez tôt ou tard éliminé pour quelque raison que ce soit.

Un an dans la brousse sera suffisant pour vous élimer de la surface du globe.
Je vous épargne, demeurez où vous êtes et … De grâce, ne jugez point.

Et ce plexus solaire…

Parfois troublé par la mendicité sous toutes ses formes. Passive, agressive, muette ou discrète, elle me demeure interrogative à chaque fois.

Certes, nous pourrions palabrer ou pérorer sur la mendicité et nous aurions tous des opinions différentes. J’ai entendu un homme d’ici être très dur envers les mendiants. Il dit que pour lui, la mendicité, c’est la honte. Des propos d’une rigidité telle que je n’ai pas discuté, et pourtant, ce sont les siens qui se trouvent ici et là à demander l’aumône pour différentes raisons.

Personnellement, la mendicité agressive me fait bouillir le sang. Ils t’abordent en te disant : «Donne-moi 100 fr», «Donne-moi ta bouteille», «Donne-moi ton collier», «Donne-moi ton sac», etc. Sèchement, je réponds «NON» tout en continuant ma route. Elle est agressive parce que je suis blanche, parce que je suis «nassara». Ils n’abordent pas les leurs ainsi. Mais, sachez que je ne leur en veux pas du tout.

Et il y a ces gens qui tentent leur chance…Ils demandent en tendant les mains, en te racontant leur histoire, en s’inclinant et en t’implorant.
Ma réponse n’est jamais la même. Parfois je donne et parfois je mens. Je dis que je n’ai pas «l’argent».

Trop souvent, je sais que leur récit est inventé de toutes pièces, mais je donne quand même, histoire d’honorer leur imagination. Je ne sais pas si je fais bien, mais le temps d’un moment, tels nos amuseurs publics, ils ont su me distraire en répondant à mes questions qui parfois auraient pu les amener à se perdre dans des détails qu’ils n’avaient pas prévus.

Entre autres, j’ai récemment donné 500 fr à une jeune fille qui entremêlait les faits, rien ne se tenait et je lui signifiais. Je l’ai fait travailler fort. Elle revenait sans cesse et puis je lui ai remis 500 Fr en lui mentionnant que je savais que tout était faux, mais que ça me faisait plaisir de lui faire un cadeau. Vous auriez dû apercevoir ce timide rictus… J’ai soutenu son regard qui a trop vite fait de se défiler. Je vous assure, du début à la fin, une croisade que je ne regrette guère.

J’aime ces tendres pièges. Il ne me laisse aucune amertume.

Malgré tout, devant la réelle mendicité, des limites s’imposent.

Au réconfort de la misère omniprésente, nous devons parfois dire non.

Avec le temps, l’indifférence s’installera et nous permettra de continuer et d’aider dans la mesure de nos moyens.

En attendant, ici se trouve encore tout ce qui introduit mon blogue. Relisez mes premiers mots…

Je continue avec mes dons de nature imprévisibles. Honnêtement, je ne pourrai motiver ce qui les anime.

La plupart du temps, je suis là, immobile et, je me vois tirer de mes poches 500 Fr pour le tendre à celui ou celle qui a osé me demander. Ils me présentent alors leurs deux mains pour créer un bol dans lequel j’y déposerai l’argent. Au même moment, ils penchent la tête et baissent les yeux.

Ça me rend toujours mal à l'aise, mais j’aime ce geste. L’être entier te dit «merci».

Il y a aussi ces moments où ils n’ont rien demandé et j’ai simplement donné parce que j’ai entendu leurs besoins.

À une jeune fille qui avait une brûlure à la jambe et que je soignais avec ma trousse de premiers soins : «On souffre quand on est orphelin»…J’ai donné tout ce qu’il faut pour qu’elle se guérisse et tiré 500 Fr de ma poche. Elle ne m’avait rien demandé.

À une fillette de 8 ans que je croise chaque matin avec un seau remplie d’eau sur la tête et qui me disait : «Ma sandale est coupée, je ne peux pas bien marcher quand je transporte l’eau». J’ai acheté des sandales vertes.

À ce jeune garçon qui demeure chez sa grand-mère et qui me disait : «Je n’aime pas transporter mes cahiers dans mes mains», j’ai acheté un sac d’école noir parce qu’il le voulait noir.

À un homme triste d’avoir vu son manguier coupé par les dents d’une chèvre qui avait réussi à passer le grillage qui l’entourait, j’ai acheté un nouveau manguier.
J’en passe. Trop d’occasions se présentent à moi. J’ai décidé de partager mon salaire d’ici et je vous le dis, ça me permet de faire beaucoup de petits cadeaux ici et là.

Et ce que j’ai entendu de plus beau concernant ces plaisirs que je m’offre vient de mon chauffeur de mototaxi qui a trop souvent été témoin de mes plaisirs : « Les chèvres d’un même troupeau n’ont pas tous la même valeur».

J’ai demandé qu’il m’explique.

«Vous voyez là bas, les chèvres, elles se ressemblent tous, mais, elles ne valent pas la même chose». Il a poursuivi en me faisant remarquer le nombre de personnes qui me saluaient lorsqu’il me ramenait à la maison : «Tu vois, quand je te ramène à la maison, les gens te saluent, ils sont contents, c’est parce que tu es gentille avec eux, tu leur parles, et quand vous n’êtes pas là, on me demande où vous êtes, trooooop de gens me demandent où vous êtes.» Le «o» du trop est allongé et en crescendo. Il me rappelle Adamo dans un blogue précédent.

Dans les faits, il m’associait au troupeau des étrangers. Je lui ai alors dit qu’il fallait m’associer au troupeau des Québécois et Québécoises qui aiment bien socialiser.

Il faudra envahir Yagoua de volontaires québécois pour qu’il constate l’essence même de notre culture.

Je lui ai mentionné que dans mon village, les gens se saluent, se parlent, se côtoient tout en se partageant leur quotidien.

Je lui ai aussi dit que nous avions un sens de la fête qui n’a d’égal. Nos violons et nos accordéons rivaliseraient avec leurs tam-tams.

Mais vous savez, j’ai apprécié son allégorie. Il a touché mon plexus solaire en rééquilibrant l’énergie de mon chakra du bonheur.

Il est celui qui, dans mon blogue sur l’ennui, m’a dit avoir eu peur que l’on ait «arraché Alyne».

Avec lui, la moto danse.
Avec lui, Dieu est grand.
Avec lui, il faut prier.
Avec lui, je n’ai pas peur en moto.
Et avec lui, le Cameroun est beau parce qu’il a contribué à me le rendre très très très beau.

Il est un de ceux que je pleurerai.

Et de ce chakra jaillirent les mots qui ont permis tous les textes de ce blogue…

lundi 23 mai 2011

SEMAINE 20 - Le souffle de ma maman

Le souffle de ma maman

Ma maman me racontait qu’enfant, lorsque je voyais un bébé à la télévision, je courrais la chercher pour qu’elle puisse enlever la vitre…Je voulais saisir l’enfant, le prendre, le bercer, le cajoler, en faire ma poupée.

Et si ces enfants étaient de couleur noire, je rêvais d’aller les retrouver.
Vous voyez que mon aventure remonte à très très très loin !

Tous, nous conservons précieusement ces mots d’enfant, ces souvenirs ou ces anecdotes provenant de notre progéniture ou des récits transmis par nos parents qui aiment raconter à satiété ce que nous leur avons laissé comme traces mnésiques.

Nostalgie et gaieté se rythment au bonheur éprouvé à entendre et réentendre la même histoire, relatée avec les mêmes mots, les mêmes termes et les mêmes détails.

Je puis parfois deviner les mots de mon père. Il est un excellent raconteur.

Et ces histoires, on ne s’en lasse point. Ils font partie de nos rencontres familiales.
D’ailleurs, je crois que c’est pour cette raison que ces rencontres existent, pour qu’on n’oublie rien de ce passé qui nous unit et pour que la génération future en connaisse son contenu.

Une transmission orale forte généreuse entretenue par nos rencontres ponctuelles qui contribue à la survie des liens familiaux contraints aux turbulences de nos vies.

Mais où vais-je avec ce blogue qui ne vous dit rien sinon que le résultat de mes méditations nocturnes. Il est présentement 02 h00 du matin.
Les étoiles envahissent le ciel. Le vent est bon et malgré lui, la chaleur m’accable. Le drap sur lequel j’ai dormi jusqu’ici est trempé et mon matelas porte des traces de sueur que je laisserai à mon départ.

Actuellement, je suis coopérante en Afrique. Je suis avec ces enfants de couleur noire que je rêvais d’aller retrouver dans mon enfance. Je regarde tous ceux qui ont une quarantaine d’années et j’imagine les avoir peut-être déjà vus derrière la vitre du téléviseur.

Bernard Weber mentionne dans «La révolution des fourmis» que le battement d'une aile de papillon à Honolulu suffit à causer un typhon en Californie.

Il nous interroge comme suit : or, vous possédez un souffle plus important que celui provoqué par le battement d'une aile de papillon, n'est-ce pas?

Battement d’ailes de papillon ou simple souffle, multiples éléments contrôlés ou négligés ont permis mon aventure.

Plusieurs d’entre vous m’ont demandé d’écrire sur ce que je fais exactement. J’y suis, mais avant, cette prémisse était nécessaire.
Ce que je fais : de la coopération.

Coopération : Action de coopérer. Agir de concert avec.

Les objectifs du projet signé avant mon départ en vous épargnant les détails administratifs et en conservant les verbes qui introduisent mes actions : Appuyer, renforcer, dynamiser, développer, aider, augmenter.

Leurs compléments d’objet direct ou indirect : capacités du personnel, les stratégies efficaces, stratégies de mobilisation des ressources financières internes, objectifs, gestion, etc.

Le mariage de ces verbes et compléments vous décrit ce qui a motivé ma décision. Un projet que j’acceptais avec enchantement et empressement. Bien humblement, je me voyais dans l’action. J’avais hâte.

Je suis ici depuis le mois de janvier 2011.

Janvier : Module de formation avec VSO Angleterre. Cuso m’a recruté pour m’offrir un contrat avec son partenaire VSO. Je n’ai rien vu de tout cela. Il faut dire qu’au cours des mois qui ont précédé mon départ, j’étais bien occupée à travailler ici et là.

Février : Participation aux différents ateliers offerts aux représentants des organisations soutenus par mon partenaire. C’est la fin de l’année financière, on vide les tiroirs et on multiplie les ateliers.

Mars et avril, les statistiques pour les autorités de VSO : Est-ce que tous ces ateliers ont influencé la vie des personnes atteintes du VIH ? La réponse : Oui.
Lesquels : tous. Des centaines.

Les résultats sont extraordinaires. Londres et Ottawa se réjouiront. Nous sommes un partenaire efficace, nous redorons le blason des autorités bienveillantes qui se soucient des pays en développement.

Et moi, je n’y vois aucun lien. Je fais tout pour tenter de suivre leur logique, mais je n’y parviens pas. Pourtant, j’ai réussi mes mathématiques statistiques au cégep avec succès.

Je vais reprendre ces mathématiques dès mon retour. Peut-être en ai-je oublié l’essentiel.

Fils, j’aurai besoin de votre aide.

Toujours en mars et avril, les employés de mon partenaire courent, ils assurent les urgences à droite et à gauche, ils sont en intervention du matin au soir, les fins de semaine, les jours fériés, et je suis là, à les attendre, quémandant un peu de temps ici et là. Ils travaillent dur et fort, ils y mettent tout leur cœur. Ils sont tous les trois des infirmiers.

Mon rôle est de maximiser l’organisation de leur travail, mais pour cela, ils doivent s’arrêter et m’expliquer.

Je glane ici et là maints petits travaux qui pourront les aider. Des tâches qui n’ont rien à voir avec les objectifs de mon placement.

Le mois d’avril s’écoule, je puis compter les heures passées avec eux sur une seule main.

Mon analyse après quatre mois : Redéfinir le placement.

J’ai fait ma part. Le renforcement des capacités se situe à ce niveau : observer, réfléchir et agir sur le placement.

ORA (observer, réfléchir, agir) est un principe utilisé dans certaines écoles camerounaises. Je suis ici pour utiliser leurs outils et leur rappeler ce qu’ils savent déjà.

Cette situation offerte m’a permis de renforcer mes capacités, un des objectifs de mon projet, mais à l’inverse…Mon partenaire devait renforcer ses capacités et non pas contribuer aux renforcements des miennes.

Dans la dernière étape (agir), j’avoue avoir été envahie par des émotions qui ne m’aidaient guère à déterminer ce qui motiverait mon choix, celui de rester ou de partir.

Vieux truc en psychologie, je dessine une tarte en y inscrivant les pour et les contres. Je vous épargnerai le labyrinthe parcouru, tel Thésée, j’ai combattu le Minotaure grâce au fil d’Ariane. Je m’en suis sortie, mais avant…Cette tarte.
Au décompte, j’obtiens un axe de symétrie parfait. Les pour et les contres sont en équilibre de part et d’autre.

Et dans ce tourbillon rationnel : un appel. C’est ma maman, Marie-Ange. Elle porte son prénom à merveille.
- Allo Alyne
- Allo maman, je suis contente de te parler.
- Tu reviens quand ma belle fille (comme toutes les mamans du monde, elle trouve sa fille belle)
- Mais maman, tu le sais quand je reviens, pourquoi tu me poses la question ?
- Parce que…J’ai hâte de te voir.
- Mais maman…Allez…
Sa réponse : un «ah» allongé qui s’est éteint dans un lourd silence.

MAMAN…J’ARRIVE…Je te choisis. L’idée de passer une partie de l’été avec toi me plait.

Elle ne saura jamais combien ce simple «ah» a fait toute la différence. J’aime ma mère. Tendrement.

…un souffle plus fort que le battement d'une aile de papillon… ma mère souffle dans son village natal, Padoue en occurrence, et son souffle cause un typhon à Yagoua, Cameroun.

En un éclair, je passais du rationnel à l’émotionnel.

Cri primal ou cri du cœur, je n’en sais rien. Mais quelle douceur.

Ce «ah» de ma maman s’est rangé dans la liste des bonnes raisons de partir.
Un ingrédient qui a fait basculer la balance…

Ainsi donc, je me suis mise à imaginer mon été auprès de vous.

Très égoïstement je sais, mais, je crois en ma décision. Elle permettra aux assises qui construisent nos placements de mieux réfléchir avant de faire traverser l’océan à des volontaires qui, au cours de leur vie, décident de consacrer un peu de temps à la coopération.

N’allez surtout pas croire que je quitte ce projet sans peine. Depuis que j’ai annoncé mes couleurs, je les ai vus tenter de se reprendre en me demandant de faire ceci ou cela.

Actuellement, je m’exécute sur des petits projets, je complèterai le site web promis avec un partenaire local. Je dicte son contenu et répertorie les plus belles photos.

De toute évidence, d’ici là, je pleurerai mes alliances avec ceux qui ont nourri mes blogues. Vous les connaissez tous, des gens formidables.

Tout au long de ce temps qui me reste, je construirai des souvenirs, anecdotes qui laisseront des traces mnésiques à mes parents et ma progéniture…

Je vous disais avant mon départ que mon projet ne serait jamais une condamnation, que je reviendrais lorsque l’aventure se terminerait…La voilà terminée…

Cette semaine, je racontais à Bouba qu’un ami volontaire reviendrait sur un autre projet. Il m’a alors dit :
-Et vous, que ferez-vous ?
-Mais Bouba, tu le sais, pourquoi tu me poses la question ?

Un «ah» prolongé qui s’est éteint dans un lourd silence.
Humm…Une impression de déjà vue…

Mon passage ici n’aurait eu de sens sans sa présence et celle de sa femme et son fils. Je les pleurerai en rêvant qu’un jour, je pourrai leur faire traverser l’Atlantique pour leur dire combien j’ai pu les aimer.

Je revivrai l’Afrique…Inch Allah…S’il plait à Dieu…

Date de mon retour : Je serai au Québec dès la fin du mois de juin.

Mes gars, faites votre chambre. Une inspection en règle est prévue…

Grand «Merci» à Huguette d’avoir critiqué le premier jet de ce blogue…Elle disait ne pas me reconnaître. Trop sombre. Le temps a permis quelques éclaircissements…Le voilà beaucoup mieux…À sa dernière relecture, j’ai souri et j’ai finalement pu le titrer.

mercredi 18 mai 2011

SEMAINE 19 - Le TCHAD

Au moment où j’écris ce blogue, nous sommes lundi le 9 mai et il est 22h30. Je n’arrive pas à dormir. Vous comprendrez pourquoi en lisant l’entièreté de ce texte.
Ce même jour, une des volontaires VSO de Moutouroua est dans mon village pour assister à une réunion sur les foyers améliorés. Un concept économique et écologique extraordinaire dont je vous épargnerai les détails…En résumé, il s’agit d’un foyer qui demande moins de bois que tous les autres.
Cette volontaire s’appelle Hafren, on prononce le «f» comme un «v». Une fille de la Grande-Bretagne qui maitrise bien bien bien la langue française. Elle est d’une douceur déstabilisante.
En tant que bonne hôte, je dois l’amener au bord du fleuve Logone, LE LIEU à visiter lorsque la vie t’amène à Yagoua.
Le fleuve Logone sert de frontière entre le Tchad et le Cameroun.
Je réserve mon chauffeur de moto préféré, celui qui me conduit sans que j’aie la frousse. On l’appelle «Petit roi» mais son véritablement nom est Corïanga.
Nous quittons Yagoua pour effectuer le trajet de 9 km. Nous sommes trois sur la moto.
Le ciel est sombre. Nous sommes au début de la saison des pluies. Nous continuons quand même la route.
Une fois sur place, nous prenons une bière et notre objectif est de traverser au Tchad avec un piroguier. Corïanga nous trouve le meilleur qui soit. Avant l’embarquement, nous apercevons un hippopotame. Nous décidons de traverser quand même.
En 2009, un piroguier a été déchiqueté par un hippopotame. J’hésite mais, je monte…On traverse le fleuve tous les jours sans problème malgré leur présence alors…
Nous traversons sans peine. Une fois sur l’autre rive, nous descendons de la pirogue et foulons le sol Tchadien. Nous prenons une gorgée de bière. Nous en profitons pleinement sans trop exagérer.
Je suis entrée illégalement dans un pays Africain, le Tchad, avec de la boisson en plus. VSO déconseillait de se rendre aux frontières du Tchad, moi, j’ai foulé son sol.
Et puis, des voix, le piroguier nous demande de monter. Nous l’écoutons, il démarre à une vitesse telle que je tombe de mon banc.
Les douaniers sont là, ils demandent que nous revenions, ils veulent voir nos papiers. Le piroguier continue sa route. Les gendarmes chargent leurs fusils et se positionnent. Nous nous couchons dans le fond de la pirogue alors qu’il continue en nous rassurant : «Ils font toujours ça quand c’est les blancs, ils ne tireront pas». Mais, je suis morte de peur alors qu’Hafren se relève et continue de fumer sa cigarette.
Ils tirent…Le piroguier n’a toujours pas peur, il dit qu’ils tirent dans les airs…
Je lui demande s’il aura des problèmes par la suite, il me répond que non, il a déjà vu ces Tchadiens faire pire encore. Il dit qu’il discutera avec eux, sans plus.
Il désobéit pour nous. Je ne sais que dire.
Nous remontons le fleuve et nous entendons les gens au bord de la rive criant au piroguier qu’il y a les hippopotames…
Il tourne la pirogue d’un seul coup de pagaie. Les gens crient encore plus fort. Ils sont derrière nous. Je vois leur museau. Il y a des bois dans le fond de la pirogue, Hafren et moi les attrapons alors que le piroguier nous demande de rester bien assises au milieu. Il nous explique qu’il doit naviguer dans le même sens qu’eux pour éviter les dangers. Je n’ai jamais des narines d’hippopotame d’aussi près.
Je pense, je réfléchis et je me trouve irresponsable. Je m’en veux d’avoir amené avec moi Hafren, si belle et si jeune. Je nous vois déjà mortes. Décapitées et déchiquetées. Je pense à mes enfants, à mes parents, à vous tous.
Enfin…Les hippopotames nous ont rattrapés mais nous nous sommes éloignés de l’endroit où nous devons descendre.
Le ciel nous menace, le vent se lève, la remontée est pénible. L’eau monte dans la pirogue. Mes souliers sont trempés mais ce n’est pas grave.
Notre pagayeur se lève et fait le tour en frôlant sa pagaie sur les rebords de l’embarcation tout en marmonnant quelque chose. Nous demeurons muettes. Il prend beaucoup de temps parce qu’une pirogue, c’est long.
Il nous expliquera alors que ce geste symbolise une demande adressée aux esprits afin qu’ils puissent le protéger, lui et ses passagers. Il dit qu’il ne peut exécuter cette demande qu’une fois par an.
Il vient de gaspiller celle de l’année, ce doit être sérieux.
Je le revois encore, attentif à nos besoins, sacrifiant son rituel, nous rassurant par son coup de pagaie fort et droit. Je vous assure, il prenait soin de tout. Sa pirogue, ses passagers et sa vie également.
Nous remontons tranquillement, les éclairs zèbrent le ciel. Je vois les muscles de ses bras se gonflés au rythme de l’eau qui frappe à babord et à tribord.
Il sue. Son visage montre une inquiétude qu’il s’efforce de ne laisser paraitre. Ses pieds sont appuyés dans le fond et ses mains serrent la pagaie.
La vitesse d’exécution est régulière et soutenue. Il passe d’un côté à l’autre de la pirogue à un rythme effréné.
Plus une goutte d’eau n’est tombée dans la pirogue par la suite et pourtant, les vagues étaient toujours plus grosses.
Je suis songeuse alors qu’Hafren affiche un courage exceptionnel. Elle me rassure.
Le danger est de moins en moins présent. Plus nous nous approchons du bord, plus le piroguier sourit. Il est fier. Je lui dis qu’il est bon mais il répond sans cesse : «C’est mon travail».
Nous l’avons bien payé. Il était content. Il est notre «Robert Piché» africain. On fera un film sur lui un de ces jours.
Une fois arrivée, les gens applaudissent, tous nous ont suivis dans notre aventure. Nous entendons «nassara, nassara».
Saines et sauves nous sommes. Les gens nous sourient et nous accueillent chaleureusement. Corïanga nous aide à monter la petite pente de sable. Le pagayeur ne sait où donner de la tête. Il est accueilli en héros.
Ils font leurs applaudissements traditionnels. Un coup, deux coups, trois coups et envoie à la personne qui doit croiser ses bras sur sa poitrine. Il reçoit bien, très bien même.
Hafren est une fille exceptionnelle, je ne l’ai jamais vu faiblir. Je l’admire.
Et que dire de ce piroguier. Il demeure humble. Je suis consciente de ce qu’il vient d’exécuter. Il a su quoi faire. Imaginez seulement le passage des hippopotames, il devait demeurer entre eux sans les toucher. D’habiles manœuvres de sa part nous ont peut-être sauvées la vie ?
Ce serait bien si notre aventure se terminait ainsi mais…Nous prenons la moto pour retourner. Le ciel s’assombrit. Vaudrait-il mieux attendre ? Corïanga me répond que : «Dieu est grand».
Nous chevauchons sa moto et partons. Le vent est de plus en plus fort, nous sommes là, à contourner les branches des arbres qui tombent et les toits de paille des cases. Je ne sais pas pourquoi mais Hafren les prévois et informe Corïanga à chaque fois.
Elle voit tout. Une guide sans pareille.
La pluie tombe si fort que je me demande comment il trouve sa route. La noirceur est tombée et nous traversons la brousse.
La moto zigue-zague. Je me tiens bon.
Encore une fois, je ne sais par quelle miracle mais, nous sommes arrivées chez Bouba, mon gardien de nuit, bien trempée et le cœur soulagé. Nous avons ensuite poursuivi notre route jusque chez moi.
Et tout cela est le résultat de ce que nous avons imaginé, Hafren et moi, sur la moto, lors de notre retour. Il faut bien passer le temps non ! Si vous y avez cru, je suis un peu gênée…J’écris tout petit petit petit…
Je ne vous ai pas tout livré mais, puisque Corïanga riait riait et riait de nous entendre, et puisque Bouba et sa femme ont également bien rigolé, j’ai décidé de vous partager mon quotidien sous toutes ses forme.
La vraie histoire : Nous avons traversé le fleuve et avons effectivement foulé le sol Tchadien dans l’illégalité, et ce, sans embûche. J’y ai pris une gorgée de Coke alors qu’Hafren a pris une gorgée de bière et a continué sa cigarette.
Aucun gendarme, aucun douanier pour nous importuner. Nous sommes revenus et avons demandé au piroguier d’allonger le tour tellement nous étions bien. Les gens sur la rive nous ont informés de la présence des hippopotames et nous sommes allés naviguer ailleurs.
Les hippopotames…Le piroguier nous racontait que certaines personnes pouvaient grimper sur leur dos et arrivaient à les diriger. Les attaques…très très très rares…
Au retour, Corïanga nous a dit que Dieu était grand et Dieu a été grand. Il venait de terminer sa prière alors…Quelques gouttes de pluie seulement.
Et les vagues du fleuve…Juste un tout petit peu plus fort…Et son rituel, le fruit de mon imagination…
Vous, qu’auriez vous ajouter à ce fou rire né entre une britannique et une québécoise qui se sont connus en terre africaine ?
Le soleil tape fort n’est-ce pas…
Je dois ajouter, j’ai fait lire ce blogue à une autre volontaire qui a tout cru du début à la fin expliquant qu’ici, tout peut arriver. Je partage son opinion…
Bonne semaine